Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 7, 1838.djvu/186

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une figure répondant à cette description traversant à grandes enjambées, et dans une ligne parallèle à leur propre route, le sommet opposé de la montagne dont elles se trouvaient séparées par une vallée étroite ; et le fait de cette apparition est si généralement admis, que l’incrédulité moderne n’a trouvé d’autre ressource que de l’attribuer à une illusion d’optique[1].

En des temps plus anciens, le démon entretenait avec les habitans des relations plus fréquentes ; et, suivant les traditions de Hartz, il avait coutume de se mêler des affaires des mortels, avec le caprice attribué à ces démons nés de la terre, quelquefois pour leur bien, quelquefois pour leur mal. Mais on avait remarqué que même ses dons devenaient, avec le temps, funestes à ceux qui les avaient reçus ; et c’était une chose commune que les pasteurs, dans le zèle de leur sollicitude pour leurs troupeaux, composassent des sermons dont le refrain tendait toujours à les avertir de se préserver de toute relation directe ou indirecte avec le démon de Hartz. Les aventures de Martin Waldeck ont été souvent citées par les vieillards à la jeunesse imprévoyante, quand ils l’entendaient se moquer d’un danger qui lui paraissait imaginaire.

Un capucin voyageur s’était emparé de la chaire de l’humble église couverte de chaume d’un petit hameau appelé Morgenbrodt, situé dans le district de Hartz. Là, il déclamait contre la perversité des habitans, leurs liaisons avec des démons, des sorcières et des fées, et surtout avec l’esprit de la forêt de Hartz. La doctrine de Luther commençait déjà à se répandre parmi les paysans, car cet événement est placé sous le règne de Charles-Quint, et ils se moquaient du zèle avec lequel le vénérable moine insistait sur ce sujet. Par degrés sa violence augmenta en voyant leur obstination, et leur obstination s’accrut de sa violence. Les habitans n’aimaient pas à entendre comparer un démon familier et paisible qui fréquentait le Brockenberg depuis tant de siècles, à Belphégor, Astaroth, et Belzébuth lui-même, et à le voir condamné sans merci à l’éternité de l’enfer. La crainte que l’esprit ne cherchât à se venger d’eux pour avoir écouté des discours semblables, vint se joindre encore à l’intérêt national qu’il inspirait. Un moine voyageur, se disaient-ils, qui aujourd’hui est ici, et n’y sera plus demain, peut dire ce qui lui plaît ; mais c’est nous, habitans anciens et sédentai-

  1. L’ombre de la personne qui voit le fantôme étant réfléchie sur un nuage de brouillard, comme les tableaux de la lanterne magique sur un drap blanc, produit, à ce qu’on suppose, l’apparition. a. m.