Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 7, 1838.djvu/279

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— Steenie n’est pas ce qu’il me faut non plus, répondit Jenny avec un tour de tête qui n’aurait pas été mal à une demoiselle d’une plus haute naissance ; je veux un mari qui puisse maintenir sa femme.

— Laissez donc, ma mie, ce sont là des idées que vous prenez dans vos villes et vos villages. Mais certes les femmes de pêcheurs ne sont pas si bêtes, elles sont maîtresses de l’homme, de la maison, et de la bourse par dessus le marché.

— Cela ne vous empêche pas de travailler comme des bêtes de somme, dit la nymphe de la terre à la nymphe des eaux. Dès que la barque a touché le rivage, votre fainéant de pêcheur n’est plus bon à rien, et c’est la femme qui doit aller barboter dans l’eau pour chercher le poisson et l’apporter à terre. Quant à l’homme, il ôte ses habits mouillés pour en mettre de secs, et s’assied auprès du feu, sa pipe à la bouche, sa pinte d’eau-de-vie à côté de lui, aussi tranquille qu’un vieux bourgeois, et ne s’inquiète de rien que la barque ne soit remise à flot. Mais la pauvre femme, il faut qu’elle rapporte les rames sur son dos à la maison, ensuite qu’elle s’en aille porter le poisson à la ville voisine, et qu’elle le crie, et se dispute avec chaque ménagère qui viendra le marchander, jusqu’à ce qu’elle ait réussi à le vendre. Et voilà la vie des femmes de pêcheurs, elles ne sont que de pauvres esclaves.

— Des esclaves ! laissez-nous donc, ma mie ; on voit bien que vous ne savez guère ce que vous dites, quand vous appelez esclaves les maîtresses de la maison. Citez-moi donc un seul mot que mon Saunders ose dire, un seul pas qu’il ose faire dans la maison, si ce n’est pour boire et manger et se divertir un peu comme nos enfans. Il a bien trop de bon sens pour croire qu’il soit le maître de quelque chose ici, à compter du toit jusqu’à la petite assiette cassée sur ce banc là-bas. Il sait trop bien qui le nourrit, qui l’habille, qui tient tout en bon état et en bon ordre dans la maison, pendant que sa barque est ballottée dans le détroit. Le pauvre garçon ! Non, non, ma fille, celle qui vend la marchandise tient la bourse, et celle qui tient la bourse gouverne la maison. Montrez-moi un de vos fermiers qui veuille laisser aller sa femme conduire le bétail au marché et en recevoir l’argent. Non, non, pas de ça[1].

  1. Dans les villages habités par des pêcheurs et situés sur les détroits du Forth et du Tay, aussi bien que dans le reste de l’Écosse, le gouvernement est tout féminin, comme le texte le décrit. Durant la dernière guerre, et pendant que l’on était livré aux craintes d’une invasion, une flotte de transports entra dans le détroit du