Page:Œuvres mêlées 1865 Tome I.djvu/218

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âme. Quel évêque oseroit en parler, aujourd’hui, comme l’irréprochable Huet, dans sa lettre à Segrais, Sur l’origine des Romans ? Rien n’étoit plus commun alors que des sacrifices touchants, comme celui de Mlle du Vigean ou de Mlle de la Vallière. Si Vauvenargues avoit vécu vers le milieu du dix-septième siècle, il n’auroit pas écrit à l’un de ses amis : « L’aveu que vous me faites de votre passion flatte bien ma vanité : vous n’avez pas craint, mon cher Mirabeau, d’être ridicule à mes yeux. » L’amour sincère n’étoit plus, en 1745, qu’un ridicule qu’on n’osoit avouer : on en fesoit sa gloire cent ans auparavant.

Le train général du monde étoit alors à la galanterie, et le roman d’amour, étoit déjà le livre populaire, dans une littérature exubérante, et passionnément cultivée. La galanterie se glisse partout où se trouve une femme. Elle dut déborder après l’introduction, dans les mœurs françoises, du Salon, des Assemblées, où non-seulement la femme jouit de toute liberté, mais encore où elle règne en souveraine. Une loi jadis inconnue, l’usage du monde, régla désormais la société. La liberté des relations entre les hommes et les femmes, avoit fait naître une forme sociale ignorée des anciens. Le rôle sévère, respectable, mais ennuyeux et subalterne, de la matrone grecque ou romaine, n’étoit plus proposable à la femme françoise, qui vouloit pouvoir être aimable comme Aspasie, tout en étant respectée comme la mère des Gracques. Il falloit faire à son empire une part légitime d’influence. L’esprit, le bon goût, la raison, la nature, se sont accordés pour y pourvoir, et c’est l’éternel honneur de la société françoise,