Page:Œuvres mêlées 1865 Tome I.djvu/217

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Au moment même où la langue commençoit à se fixer, un esprit ingénieux et poli, Honoré d’Urfé2, avoit remis en honneur, dans un livre célèbre, le sentiment subtil et chevaleresque de l’amour, développé sous la forme italienne du roman pastoral. Mais la faveur du livre fut passagère : aux yeux des gens de goût, un excès de recherche, trop éloigné des mouvements vrais de la nature, décréditoit ce style précieux et maniéré. Il n’en fut pas de même de l’amour à l’espagnole. Sa grandeur généreuse remua profondément les imaginations, et son exagération romanesque, autant que délicate, laissa des traces profondes dans les caractères ainsi que dans les esprits.

La bonne compagnie de ce temps, et des génies éminents à sa tête, n’ont considéré l’amour ni comme un libertinage, ni même comme une foiblesse. L’amour, sentiment pur et élevé, a été, à leurs yeux, la marque des grands esprits et des nobles cœurs. Cyrus, et l’on sait quel héros étoit caché sous ce nom, Cyrus professe, dans un livre qu’on s’arracha des mains, pendant longtemps, que « cette foiblesse est glorieuse et qu’il faut avoir l’âme grande pour en être capable. » Tout le monde repétoit ces maximes, et nous apprécions mal, à cet égard, la société du dix-septième siècle, en la jugeant d’après les idées ombrageuses d’un rigorisme ignorant ou ridicule. Aussi n’est-il pas d’homme supérieur qui ait rougi d’éprouver de l’amour. Descartes, Pascal, Turenne, Condé, en ont nourri leur


2. Voy. Les d’Urfé, de M. Aug. Bernard, Paris, 1839, 1 vol. in-8 ; et les Études sur l’Àstrée, de M. Bonafous, Paris, 1846, in-8.