Page:Œuvres mêlées 1865 Tome I.djvu/419

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même, il est encore plus aisé de se dégoûter des autres. La fin de l’amitié dépend moins de notre volonté que le commencement. Il n’y a point de sympathie si parfaite, qui ne soit mêlée de quelque contrariété ; point d’agrément, à l’épreuve d’une familiarité continuelle. Les plus belles passions se rendent ridicules en vieillissant : les plus fortes amitiés s’affoiblissent avec le temps ; chaque jour y fait quelque brèche. On veut d’abord aller si vite, qu’on manque d’haleine à moitié chemin. On se lasse soi-même, et on lasse les autres…

Après tout, dit un ami léger, c’est une chose bien lassante que de dire toute sa vie à une même personne : Je vous aime. Rien n’approche de l’ennui que donne une passion qui dure trop. On a beau s’évertuer pour cacher son dégoût et jouer d’industrie pour entretenir le commerce, les lettres deviennent sèches, les conversations languissent, l’amant bâille, la dame compte toutes les heures ; chacun enfin se voit réduit à parler de la pluie ou du beau temps. Il n’y a si bel esprit, en amour, qui ne s’épuise ; il n’y a si bon cœur, en amitié, qui ne se rebute. Le goût des meilleures choses change, avant qu’elles aient changé…

Quand le seul intérêt de nos divertissements forme le nœud de l’amitié, l’absence, les occupations, les chagrins de la vie peuvent aisé-