Page:Œuvres philosophiques de Leibniz, Alcan, 1900, tome 2.djvu/12

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servir du prétexte de la nécessité pour prouver que la vertu et le vice ne font ni bien ni mal, ils ont la hardiesse de faire la divinité complice de leurs désordres, et ils imitent les anciens païens, qui attribuaient aux dieux la cause de leurs crimes, comme si une divinité les poussait à mal faire. La philosophie des chrétiens, qui reconnaît mieux que celle des anciens la dépendance des choses du premier auteur, et son concours avec toutes les actions des créatures, a paru augmenter cet embarras. Quelques habiles gens de notre temps en sont venus jusqu’à ôter toute action aux créatures ; et M. Bayle, qui donnait un peu dans ce sentiment extraordinaire, s’en est servi pour relever le dogme tombé des deux principes, ou de deux dieux, l’un bon, l’autre mauvais, comme si ce dogme satisfaisait mieux aux difficultés sur l’origine du mal ; quoique, d’ailleurs, il reconnaisse que c’est un sentiment insoutenable, et que l’unité du principe est fondée incontestablement en raisons a priori ; mais il en veut inférer que notre raison se confond et ne saurait satisfaire aux objections, et qu’on ne doit pas laisser pour cela de se tenir ferme aux dogmes révélés, qui nous enseignent l’existence d’un seul Dieu, parfaitement bon, parfaitement puissant et parfaitement sage. Mais beaucoup de lecteurs qui seraient persuadés de l’insolubilité de ces objections, et qui les croiraient pour le moins aussi fortes que les preuves de la vérité de la religion, en tireraient des conséquences pernicieuses.

Quand il n’y aurait point de concours de Dieu aux mauvaises actions, on ne laisserait pas de trouver de la difficulté en ce qu’il les prévoit et qu’il les permet, les pouvant empêcher par sa toute-puissance. C’est ce qui fait que quelques philosophes, et même quelques théologiens, ont mieux aimé lui refuser la connaissance du détail des choses, et surtout des événements futurs, que d’accorder ce qu’ils croyaient choquer sa bonté. Les sociniens et Conrad Vorstius[1] penchent de ce côté-là ; et Thomas Bonartes[2], jésuite anglais pseudonyme, mais fort savant, qui a écrit un livre De concordia scientiae cum fide, dont je parlerai plus bas, paraît l’insinuer aussi. Ils ont grand tort sans doute ; mais d’autres n’en ont pas moins, qui, persuadés que rien ne se fait sans la volonté et sans la puissance

  1. Vorst, ministre protestant, né en 1624 à Wesselbourg (Holstein), mort à Berlin en 1676. P. J.
  2. Barton (Thomas), voir plus loin, p. 86. P. J.