Page:Œuvres philosophiques de Leibniz, Alcan, 1900, tome 2.djvu/25

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la grâce dans la conversion, j’entends seulement qu’il en profite par la cessation de la résistance surmontée, mais sans aucune coopération de sa part ; tout comme il n’y a point de coopération dans la glace lorsqu’elle est rompue. Car la conversion est le pur ouvrage de la grâce de Dieu, où l’homme ne concourt qu’en résistant ; mais sa résistance est plus ou moins grande, selon les personnes et les occasions. Les circonstances aussi contribuent plus ou moins à notre attention et aux mouvements qui naissent dans l’âme ; et le concours de toutes ces choses jointes à la mesure de l’impression et à l’état de la volonté, détermine l’effet de la grâce, mais sans le rendre nécessaire. Je me suis assez expliqué ailleurs, que, par rapport aux choses salutaires, l’homme non régénéré doit être considéré comme mort ; et j’approuve fort la manière dont les théologiens de la confession d’Augsbourg s’expliquent sur ces sujets. Cependant cette corruption de l’homme non régénéré ne l’empêche point d’ailleurs d’avoir des vertus morales véritables et de faire quelque fois de bonnes actions dans la vie civile, qui viennent d’un bon principe, sans aucune mauvaise intention, et sans mélange de péché actuel. En quoi j’espère qu’on me le pardonnera, si j’ai osé m’éloigner du sentiment de S. Augustin[1], grand homme sans doute et d’un merveilleux esprit, mais qui semble porté quelquefois à outrer les choses, surtout dans la chaleur de ses engagements. J’estime fort quelques personnes qui font profession d’être disciples de S. Augustin, et entre autres le R. P. Quesnel[2], digne successeur du grand Arnauld, dans la poursuite des controverses qui les ont commis avec la plus célèbre des compagnies. Mais j’ai trouvé qu’ordinairement dans les combats entre des gens d’un mérite insigne (dont il y en a sans doute ici des deux côtés),

  1. Saint Augustin, illustre Père de l’Église latine, né à Tagasle, en Afrique, en 354. Tout le monde connaît l’histoire de sa conversion, racontée dans ses Confessions il fut évêque d’Hippone en 395. Il combattit énergiquement les Manichéens, les Donatistes et les Pélagiens. Son nom est resté attaché à la question de la grâce. Ses OEnvres complètes ont été données par les Bénédictins en 11 tomes in-fol., 1671 et suiv. P. J.
  2. Quesnel (P.), célèbre janséniste, né à Paris en 1634, mort à Amsterdam en 1719. On connaît ses Réflexions Morales, publiées en 1694, qui furent l’origine de la seconde guerre janséniste, et l’occasion de la fameuse bulle Uniycnitus. Ses ouvrages théologiques sont très nombreux. P. J.