Page:Œuvres philosophiques de Leibniz, Alcan, 1900, tome 2.djvu/35

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ce que des interprètes grecs avaient déjà enseigné, prétendait que, suivant Aristote et même suivant la raison (ce qu’on prenait presque alors pour la même chose), l’immortalité de l’âme ne pouvait subsister. Voici son raisonnement. Le genre humain est éternel, selon Aristote ; donc, si les âmes particulières ne périssent pas, il faut venir à la métempsycose rejetée par ce philosophe ; ou, s’il y a toujours des âmes nouvelles, il faut admettre l’infinité de ces âmes conservées de toute éternité ; mais l’infinité actuelle est impossible, selon la doctrine du même Aristote : donc il faut conclure que les âmes, c’est-à-dire les formes des corps organiques, doivent périr avec ces corps, ou du moins l’entendement passif appartenant en propre à un chacun. De sorte qu’il ne restera que l’entendement actif, commun à tous les hommes, qu’Aristote disait venir de dehors, et qui doit travailler partout où les organes y sont disposés, comme le vent produit une espèce de musique lorsqu’il est poussé dans des tuyaux d’orgue bien ajustés.

8. Il n’y avait rien de plus faible que cette prétendue démonstration ; il ne se trouve point qu’Aristote ait bien réfuté la métempsycose, ni qu’il ait prouvé l’éternité du genre humain ; et après tout, il est très faux qu’un infini actuel soit impossible. Cependant cette démonstration passait pour invincible chez les Aristotéliciens, et leur faisait croire qu’il y avait une certaine intelligence sublunaire dont la participation faisait notre entendement actif. Mais d’autres, moins attachés à Aristote, allaient usqu’à une âme universelle, qui fût l’océan de toutes cs âmes particulières, et croyaient cette âme universelle seule capable de subsister, pendant que les âmes particulières naissent et périssent. Suivant ce sentiment, les Ames des animaux naissent en se détachant comme des gouttes de leur océan, lorsqu’elles trouvent un corps qu’elles peuvent animer ; et elles périssent en se rejoignant à l’océan des âmes quand le corps est défait, comme les ruisseaux se perdent dans la mer. Et plusieurs allaient à croire que Dieu est cette âme universelle, quoique d’autres aient cru qu’elle était subordinée et créée. Cette mauvaise doctrine est fort ancienne et fort capable d’éblouir le vulgaire. Elle est exprimée dans ces beaux vers de Virgile (En. VI, v. 724) :

Principio coelum ac terram camposque liquentes,
Lucentemque globum Lunae, Titaniaque astra,
Spiritus intus alit, totamquc infusa per artus
Mens agitat molem et magno se corpore miscet.
Inde hominum pccudumque genus vitœque volantum.