Page:Œuvres philosophiques de Leibniz, Alcan, 1900, tome 2.djvu/34

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des questions venaient du soin qu’on prenait de concilier la foi avec la raison. Mais ce n’était pas avec tout le succès qui aurait été à souhaiter, parce que la théologie avait été fort corrompue par le malheur des temps, par l’ignorance et par l’entêtement ; et parce que la philosophie, outre ses propres défauts, qui étaient très grands, se trouvait chargée de ceux de la théologie, qui se ressentait à son tour de l’association d’une philosophie très obscure et très imparfaite. Cependant il faut avouer avec l’incomparable Grotius 34, qu’il y a quelquefois de l’or caché sous les ordures du latin barbare des moines, ce qui m’a fait souhaiter plus d’une fois qu’un habile homme que sa fonction eût obligé d’apprendre le langage de l’école, eût voulu en tirer ce qu’il y a de meilleur, et qu’un autre Petave[1] ou Thomassin[2] eussent fait à l’égard des scolastiques ce que ces deux savants hommes ont fait à l’égard des Pères. Ce serait un ouvrage très curieux et très important pour l’histoire ecclésiastique, et qui continuerait celle des dogmes jusqu’au temps du rétablissement des belles lettres, par le moyen desquelles les choses ont changé de face, et même audelà. Car plusieurs dogmes, comme ceux de la prédétermination physique[3], de la science moyenne, du péché philosophique, des précisions objectives, et beaucoup d’autres dans la théologie spéculative, et même dans la théologie pratique des cas de conscience, ont été mis en vogue, même après le concile de Trente.

7. Un peu avant ces changements, et avant la grande scission de l’Occident, qui dure encore, il y avait en Italie une secte de philosophes qui combattait cette conformité de la foi avec la raison que nous soutenons. On les nommait averroïstes, parce qu’ils s’attachaient à un auteur arabe célèbre, qu’on appelait le commentateur par excellence, et qui paraissait être le mieux entré dans le sens d’Aristote parmi ceux de sa nation. Ce commentateur, poussant

  1. Petave (Petavius) ou Petau (le P.), célèbre jésuite du xvir siècle, né à Orléans en 1583, mort à Paris en 1652. C’est un érudit et un théologien. Ses principaux ouvrages sont Doctrina temporum, Paris, 1627, 2 vol. in-fol., ouvrage de chronologie ; et ses Theologica dogmàta, ibid., 1644-1650, vol. in-fol. P.J.
  2. Thomassin (le Père), célèbre oratorien, né à Aix en 1619, mort en 1695. Son ouvrage le plus considérable est Y Ancienne et nouvelle discipline de l’Église 3 vol. in-fol., 1678-1679. On cite encore ses Dogmes Ihéologiques, 3 vol. in-fol. 1680-89, pour faire suite à ceux du P. Pétau. P. J.
  3. Averroïstes. Secte philosophique ainsi nommée de son chef Averroès (Ibn-Rosch), célèbre philosophe arabe, né à Cordoue dans le xne siècle, mort en 1198. Son Commentaire sur Aristote, où il l’interprète dans un sens panthéiste et naturaliste, a paru à Venise en 1495, in-fol et a été réimprimé plusieurs fois. M. Renan lui a consacré un savant et intéressant ouvrage. P. J.