Page:Œuvres philosophiques de Leibniz, Alcan, 1900, tome 2.djvu/50

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génie médiocre, capable d’assez d’attention, et se servant exactement des règles de la logique vulgaire, est en état de répondre à l’objection la plus embarrassante contre la vérité, lorsque l’objection n’est prise que de la raison, et lorsqu’on prétend que c’est une démonstration. Et quelque mépris que le vulgaire des modernes ait aujourd’hui pour la logique d’Aristote, il faut reconnaître qu’elle enseigne des moyens infaillibles de résister à l’erreur dans ces occasions. Car on n’a qu’à examiner l’argument suivant les règles, et il y aura toujours moyen de voir s’il manque dans la forme, ou s’il y a des prémisses qui ne soient pas encore prouvées par un bon argument.

28. C’est tout autre chose, quand il ne s’agit que de vraisemblances ; car l’art de juger des raisons vraisemblables n’est pas encore bien établi ; de sorte que notre logique à cet égard est encore très imparfaite, et que nous n’en avons presque jusqu’ici que l’art de juger des démonstrations. Mais cet art suffit ici ; car quand il s’agit d’opposer la raison à un article de notre foi, on ne se met point en peine des objections qui n’aboutissent qu’à la vraisemblance : puisque tout le monde convient que les mystères sont contre les apparences, et n’ont rien de vraisemblable, quand on ne les regarde que du côté de la raison ; mais il suffit qu’il n’y ait rien d’absurde. Ainsi il faut des démonstrations pour les réfuter.

29. Et c’est ainsi sans doute qu’on le doit entendre, quand la sainte Ecriture nous avertit que la sagesse de Dieu est une folie devant les hommes, et quand saint Paul a remarqué que l’Evangile de Jésus-Christ est une folie aux Grecs, aussi bien qu’un scandale aux juifs ; car au fond, une vérité ne saurait contredire à l’autre ; et la lumière de la raison n’est pas moins un don de Dieu, que celle de la révélation. Aussi est-ce une chose sans difficulté parmi les théologiens qui entendent leur métier, que les motifs de crédibilité justifient, une fois pour toutes, l’autorité de la sainte Ecriture devant le tribunal de la raison, afin que la raison lui cède dans la suite, comme à une nouvelle lumière, et lui sacrifie toutes ses vraisemblances. C’est à peu près comme un nouveau chef envoyé par le prince doit faire voir ses lettres patentes dans l’assemblée où il doit présider par après. C’est à quoi tendent plusieurs bons livres que nous avons de la vérité de la religion, tels que ceux d’Augustinus Steuchus[1], de Du Plessis-Mornay[2], ou de Grotius : car il faut

  1. Steuco (Augustin), théologien catholique, né dans l’Ombrie en 1491, mort à Venise en 1519. On a de lui, entre autres ouvrages, une Cosmopeia, commen