Page:Œuvres philosophiques de Leibniz, Alcan, 1900, tome 2.djvu/58

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met en balance avec les démonstrations qui nous assurent de la perfection infinie de ses attributs. Ainsi la foi triomphe des fausses raisons, par des raisons solides et supérieures, qui nous l’ont fait embrasser : mais elle ne triompherait pas, si le sentiment contraire avait pour lui des raisons aussi fortes, ou même plus fortes que celles qui font le fondement de la foi, c’est-àdire, s’il y avait des objections invincibles et démonstratives contre la foi.

43. Il est bon même de remarquer ici que ce que M. Bayle appelle triomphe de la foi est en partie un triomphe de la raison démonstrative contre des raisons apparentes et trompeuses, qu’on oppose mal à propos aux démonstrations. Car il faut considérer que les objections des manichéens ne sont guère moins contraires à la théologie naturelle qu’à la théologie révélée. Et quand on leur abandonnerait la sainte Ecriture, le péché originel, la grâce de Dieu en Jésus-Christ, les peines de l’enfer et les autres articles de notre religion, on ne se délivrerait point par là de leurs objections : car on ne saurait nier qu’il y a dans le monde du mal physique (c’est-à-dire des souffrances) et du mal moral (c’est-àdire des crimes), et même que le mal physique n’est pas toujours distribué ici-bas suivant la proportion du mal moral, comme il semble que la justice le demande. Il reste donc cette question de la théologie naturelle, comment un principe unique, tout bon, tout sage et tout-puissant a pu admettre le mal, et surtout comment il a pu permettre le péché, et comment il a pu se résoudre à rendre souvent les méchants heureux et les bons malheureux ?

44. Or nous n’avons point besoin de la foi révélée, pour savoir qu’il y a un tel principe unique de toutes choses, parfaitement bon et sage. La raison nous l’apprend par des démonstrations infaillibles ; et par conséquent toutes les objections prises du train des choses, où nous remarquons des imperfections, ne sont fondées que sur de fausses apparences. Car si nous étions capables d’entendre l’harmonie universelle, nous verrions que ce que nous sommes tentés de blâmer est lié avec le plan le plus digne d’être choisi ; en un mot nous verrions, et ne croirions pas seulement, que ce que Dieu a fait est le meilleur. J’appelle voir ici, ce qu’on connaît a priori par les causes ; et croire, ce qu’on ne juge que par les effets, quoique l’un soit aussi certainement connu que l’autre. Et l’on peut appliquer encore ici ce que dit saint Paul (2. Cor. V, 7) que nous cheminons par foi et non par vue. Car la sagesse infinie de Dieu nous étant connue,