Page:Œuvres philosophiques de Leibniz, Alcan, 1900, tome 2.djvu/59

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nous jugeons que les maux que nous expérimentons devaient être permis, et nous le jugeons par l’effet même ou a posteriori, c’est-à-dire, parce qu’ils existent. C’est ce que M. Bayle reconnaît ; et il devait s’en contenter, sans prétendre qu’on doit faire cesser les fausses apparences qui y sont contraires. C’est comme si l’on demandait qu’il n’y eût plus des songes, ni des déceptions d’optique.

45. Et il ne faut point douter que cette foi et cette confiance en Dieu, qui nous fait envisager sa bonté infinie, et nous prépare à son amour, malgré les apparences de dureté qui nous peuvent rebuter, ne soient un exercice excellent des vertus de la théologie chrétienne, lorsque la divine grâce en Jésus-Christ excite ces mouvements en nous. C’est ce que Luther a bien remarqué contre Erasme, en disant que c’est le comble de l’amour, d’aimer celui qui paraît si peu aimable à la chair et au sang, si rigoureux contre les misérables, et si prompt à damner, et cela même pour des maux dont il paraît être la cause ou le complice à ceux qui se laissent éblouir par de fausses raisons. De sorte qu’on peut dire que le triomphe de la véritable raison éclairée par la grâce divine est en même temps le triomphe de la foi et de l’amour.

46. M. Bayle paraît l’avoir pris tout autrement : il se déclare contre la raison, lorsqu’il se pouvait contenter d’en blâmer l’abus. Il cite les paroles de Cotta chez Cicéron, qui va jusqu’à dire que si la raison était un présent des dieux, la Providence serait blâmable de l’avoir donné, puisqu’il tourne à notre mal. M. Bayle aussi croit que la raison humaine est un principe de destruction et non pas d’édification (Dictionn., p. 2026, col. 2), que c’est une coureuse qui ne sait où s’arrêter, et qui, comme une autre Pénélope, détruit elle-même son propre ouvrage :

Deslruit, œdificat, mutai quadrala rolundis.

(Réponse au Provincial, t. III. p. 725.) Mais il s’applique surtout à entasser beaucoup d’autorités les unes sur les autres, pour faire voir que les théologiens de tous les partis rejettent l’usage de la raison aussi bien que lui, et n’en étalent les lueurs qui s’élèvent contre la religion que pour les sacrifier à la foi par un simple désaveu, et en ne répondant qu’à la conclusion de l’argument qu’on leur oppose. Il commence par le Nouveau Testament. Jésus-Christ se contentait de dire Suis-moi (Luc, v, 27 ix, 59). Les apôtres disaient Crois, et tu seras sauvé (Act. xvi, 3). Saint Paul reconnaît que sa doctrine est