Page:Œuvres poétiques de François de Maynard, 1885, tome 1.djvu/126

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Si je vois dans un pré un œillet rouissant,
Je pense au doux corail de sa bouche emmiellée :
Mais si tost que je vois un soucy jaunisant,
Je perds ma triste vie en larmes escoulée.

L’un fait vivre mon ame, et l’autre ma douleur,
De l’un je tiens la mort et de l’autre la vie ;
Toutesfois le repos et la douce langueur
Me plaist esgallement pour ma belle ennemie.

Amour, que te sert-il de briser mille traits,
Puisqu’au joug de ta loy je lie ma franchise ?
Ou dites-moy, beaux yeux, pourquoy de vos atraicts
L’aigre et doux souvenir me tue et tirannise.

Mais las ! je ne sçaurois esloigner vos appas,
Sans estre espoint des traicts d’une douleur extreme :
Car qui pourroit mourir et ne se plaindre pas,
Ou vivre sans douleur, separé de soy-mesme ?


STANCES.


Separé de tes yeux, je le suis de moy-mesme,
Et ton seul souvenir me donne mouvement;
Mais s’il est vray qu’on meurt d’une douleur extreme,
Hé ! que ne meurs-je au point de cest esloignement ?

Aurez-vous des regards pour voir mon ennemie,
Ou serez-vous sans pleurs en perdant vostre jour,
Mes yeux ? Si vous n’avez de regards ny de vie,
Ayez au moins de pleurs autant que moy d’Amour.