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DOUZE ANS DE SÉJOUR

valait de la part de tout le monde, même de mes domestiques, un abord et des façons plus convenables. La curiosité souvent blessante qui se manifestait à mon aspect fit place à l’inattention ou à des démonstrations polies. Je dus reconnaître la puissance de la forme qui, même dans ses manifestations les plus futiles en apparence, influence les hommes, les captive ou les éloigne. Plus tard, les Éthiopiens m’ont dit maintes fois : « Si tu retournes dans ton pays, l’habitude que tu as contractée de nos mœurs civilisées te fera trouver tes compatriotes bien barbares. » Plus d’un peuple entretient une vanité analogue, et presque tous se sentent flattés qu’on se conforme à eux.

Quelques jours avant le départ de mon frère, trois soldats de la garde de Sahala Sillassé, Polémarque héréditaire du Chawa, étaient arrivés à Gondar, en mission confidentielle. Surpris par les pluies, ils avaient dû hiverner chez le Lik Atskou, qui entretenait des relations amicales avec leur maître.

Les ancêtres de Sahala Sillassé avaient pu, grâce à la transmission héréditaire de leur pouvoir, étendre les frontières de leur État, surtout du côté du Sud, aux dépens de populations païennes et peu aguerries. Ils avaient aussi amassé de grandes richesses ; leur cour était la plus opulente de l’Éthiopie, et le Chawa passait pour être la province la plus populeuse et la plus sagement gouvernée. Afin d’augmenter son influence, Sahala Sillassé entretenait des intelligences et étendait ses libéralités jusqu’à Gondar et même jusqu’à Adwa. Cependant, les trois envoyés de ce prince ne faisaient que maigre chère à Gondar ; quelques notables, qui avaient eu part aux libéralités de leur maître ou qui espéraient s’en attirer, les invi-