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DANS LA HAUTE-ÉTHIOPIE

toisie du Prince ; mais je n’en comprenais pas encore la portée, non plus que celle de l’empressement de ses gens, dont les manières prirent une nuance de familiarité plus affectueuse. Dans ce pays féodal, les hommes sont unis par une infinité de liens qui seraient sans valeur en Europe ; ils vivent dans une dépendance et une solidarité réciproques qu’ils avouent hautement, dont ils se font gloire, et qui influent sur toutes leurs actions. À leurs yeux, l’homme affranchi de toute sujétion est en dehors du pacte social ; c’est le cas de l’étranger. En acceptant la mule du Dedjazmatch, j’avais déjà contracté, selon les mœurs du pays, comme un premier engagement moral envers lui. Mais en recevant un cheval de combat, je devenais aux yeux de ses gens l’homme de leur maître ; j’étais astreint à le suivre, à participer pendant quelque temps du moins à sa mauvaise ou à sa bonne fortune. Quelque bienveillance qu’ils m’eussent témoignée jusque-là, j’avais été pour eux comme un être à part, sans rapport social avec eux ; j’allais désormais participer à leurs devoirs, à leurs droits ; je cessais d’être pour eux l’étranger, dans le sens antique et hostile de ce mot, et je devenais leur confrère, leur compagnon.

La Waïzoro Sahalou, qui nous avait accompagnés jusque-là, partit pour Dima, ville d’asile, où elle devait attendre notre retour ; car nous allions décidément envahir le Liben.

Quittant le plateau du Gojam, nous descendîmes pendant plusieurs heures les pentes précipitées qui mènent à l’Abbaïe, où nous campâmes. En face de nous, et dès les galets du fleuve, s’élançaient brusquement, à pic en plusieurs endroits, les contreforts du plateau du Liben ; derrière nous se dressaient de la même façon ceux du Gojam. Notre armée semblait