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DOUZE ANS DE SÉJOUR

levèrent partout selon l’ordre accoutumé de nos campements.

Dès ce moment, le démon de la chicane sembla régner. De tous côtés, des plaideurs, debout et la toge drapée comme en présence du souverain, avocassaient chaleureusement devant des hommes assis en demi-cercle et formant les plaids. Un soldat faisant fonctions d’huissier, se tenait entre les parties, réglait leurs plaidoiries, introduisait les témoins, recueillait les jugements des assesseurs, faisait la police de l’audience, et, en cas d’appel, conduisait immédiatement les plaideurs en cour supérieure.

De nombreux auditeurs se pressaient avidement à ces plaids qui, à juste titre, intéressent si fort les Éthiopiens. Les questions débattues étaient palpitantes ; c’était le contentieux de la bataille qu’on s’empressait de régler avant le renvoi des prisonniers, dont les témoignages sont souvent nécessaires.

Dans les batailles entre chrétiens, les Éthiopiens n’ayant pour se reconnaître ni uniforme, ni armement distinct, il leur arrive quelquefois de prendre des ennemis pour des gens de leur propre parti ; mais bien plus souvent, des soldats revenant bredouille et voyant passer un des leurs avec une prise, feignent de se méprendre et lui enlèvent butin et prisonniers. Ces arracheurs, comme on les appelle, donnent lieu parfois à des collisions déplorables : de part et d’autre, les camarades accourent, on se blesse, on se tue, et les procès criminels surgissent ainsi de la victoire. De plus, comme à l’exception des armes à feu, du parasol, du gonfanon et des timbales de l’ennemi, qui reviennent de droit au chef de l’armée, tout soldat devient sauf la confirmation de son seigneur, le propriétaire légitime de tout ce dont il s’empare, le dépouillement de toute