Page:Abbadie - Douze ans de séjour dans la Haute-Éthiopie.djvu/464

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
456
DOUZE ANS DE SÉJOUR

niers sans toucher à leurs vêtements, à leurs montures et même à leurs armes. D’un autre côté, si ces jours mettent souvent en lumière de nobles sentiments, quelques hommes de guerre de tous les rangs usent brutalement et dans toute leur étendue des droits du plus fort.

Nos prisonniers, dont le nombre dépassait 30,000, ayant pris la permission de leurs capteurs, circulaient librement dans le camp, se cherchaient entre eux, se racontaient leurs aventures ou causaient familièrement avec les nôtres, qui, de leur côté, se montraient pleins d’égards. L’ignorance où les hommes vivent les uns des autres fait le plus souvent les premiers frais de leur hostilité. Il n’est tel que de pratiquer les gens, de s’entre-mesurer : toute science conduit à quelque forme de l’amour.

Nous nous fîmes raconter par les prisonniers ce qui s’était passé chez eux avant la bataille. Sachant que nous étions campés près de Konzoula, avec l’intention de les attaquer le samedi, ils s’étaient imaginé que le choix de ce jour dépendait de quelque incantation dont j’étais l’auteur, et, pour tâcher de nous surprendre et de contrecarrer mes maléfices, ils avaient résolu au dernier moment de nous livrer bataille le vendredi. À cet effet, ils s’étaient portés à Konzoula, comptant y laisser leurs bagages et nous assaillir avec toutes leurs forces. Enorgueillis du reste par leur supériorité numérique et le prestige militaire qu’ils exerçaient, ils n’avaient pas douté de la victoire. Leur irritation contre nous était telle, qu’ils étaient convenus de ne faire quartier qu’à un petit nombre, et, dans ce but, ils avaient mis un signe distinctif à leurs fourreaux de sabre, afin de se reconnaître plus sûrement dans la mêlée. Surpris autant que nous