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DOUZE ANS DE SÉJOUR

Monseigneur. Il se fit bravement tuer à son service. Quelque temps après la journée de Konzoula, on racontait encore dans le Dambya qu’un instant avant la bataille j’étais passé, en compagnie de Monseigneur, sur le front de l’armée, une torche allumée dans chaque main, en annonçant que j’allais charger en tête, et que, si celle de la main droite s’éteignait, notre victoire serait péniblement acquise et l’on devrait se maintenir les uns contre les autres, jusqu’à ce que ceux qui étaient décrétés de mort parmi nous eussent accompli leur destin ; que si, au contraire, celle de gauche s’éteignait, il fallait s’empresser d’avancer, afin que pas un de nos ennemis ne pût nous échapper. Ces bruits étaient loin de trouver créance auprès de tout le monde, et cependant chacun les répétait. Il ne faudrait pas conclure de là à la crédulité excessive et au peu d’intelligence des Éthiopiens ; en tous pays, les propositions les plus incroyables s’accréditent aisément, pour un temps du moins. Du reste, ma participation aux événements quotidiens de la politique du pays et la position que le Dedjazmatch me faisait à sa cour allaient me faire connaître plus exactement, surtout en Gojam et dans les provinces environnantes ; et comme c’est souvent sur les pas de l’erreur que la vérité fait son chemin dans le monde, il était assez naturel que la notoriété dont j’allais être l’objet commençât ainsi un peu à rebours de la vérité. Mes amis s’égayèrent beaucoup du caractère fabuleux qu’on m’attribuait et qui m’expliqua du reste le sentiment d’aversion que le Lidj Ilma avait manifesté en me voyant.

Un timbalier proclama l’ordre de relâcher les prisonniers, à l’exception d’un très-petit nombre de