Page:About - L’Homme à l’oreille cassée.djvu/138

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— Monsieur, je n’admets pas qu’on signe la paix ailleurs que dans les capitales. C’était notre principe, notre A B C, le paragraphe premier de la Théorie. Il paraît que le monde a bien changé depuis que je ne suis plus là. Mais patience ! »

Ici, la vérité m’oblige à dire que Fougas se grisa au dessert. Il avait bu et mangé comme un héros d’Homère et parlé plus copieusement que Cicéron dans ses bons jours. Les fumées du vin, de la viande et de l’éloquence lui montèrent au cerveau. Il devint familier, tutoya les uns, rudoya les autres et lâcha un torrent d’absurdités à faire tourner quarante moulins. Son ivresse n’avait rien de brutal et surtout rien d’ignoble ; ce n’était que le débordement d’un esprit jeune, aimant, vaniteux et déréglé. Il porta cinq ou six toasts : à la gloire, à l’extension de nos frontières, à la destruction du dernier des Anglais, à Mlle Mars, espoir de la scène française, à la sensibilité, lien fragile, mais cher, qui unit l’amant à son objet, le père à son fils, le colonel à son régiment !

Son style, singulier mélange de familiarité et d’emphase, provoqua plus d’un sourire dans l’auditoire. Il s’en aperçut, et un reste de défiance s’éveilla au fond de son cœur. De temps à autre, il se demandait tout haut si ces gens-là n’abusaient point de sa naïveté.

« Malheur ! s’écriait-il, malheur à ceux qui vou-