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LE FELLAH

des idées, la poésie des sentiments, la musique des sensations, et des sensations d’un ordre si subtil qu’elles n’ont pas prise sur tous les hommes. Je la crois inférieure à la poésie autant que la poésie elle-même est au-dessous de la prose ; ce n’est que le reflet d’une ombre, mais quel reflet éblouissant, délicieux, sublime, pour ceux qui ont appris à en jouir !

Voilà un beau garçon, car Ahmed est décidément très-beau malgré sa calotte rouge et sa longue redingote empesée, voilà, dis-je, une sorte d’Antinoüs moderne qui s’est imbu de nos sciences comme une éponge prend l’eau d’une cuvette, et les principes de notre musique sont pour lui comme s’ils n’existaient pas. Il est pourtant artiste à sa manière ; il perçoit, il sent des beautés qui nous échappent ; il se promène en dehors de tous les tons et de toutes les mesures avec une admirable bonne foi, tandis que les jolies Parisiennes mordent leurs mouchoirs pour s’empêcher de rire, et que les jeunes gens descendus de leurs chambres vont pouffer tout à l’aise dans la salle de billard.

Grâce à Dieu, madame est servie, et je suis quitte de conclure : allons dîner !