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LE FELLAH

II

Le potage expédié, la conversation s’établit, comme d’usage et de raison, sur les petits incidents de la journée. Sans les récits et les commentaires, la chasse ne serait qu’un demi-plaisir. Notre hôte, aussi modeste que fin tireur, mettait obligeamment en vedette les talents de ses invités. « Figurez-vous, messieurs, nous dit-il, que ce gaillard d’Ahmed chasse aujourd’hui pour la sixième fois de sa vie ! »

Un avoué qui chassait depuis vingt ans et qui n’avait tué ce jour-là que le tiers d’un lapin, trouva la chose paradoxale. — Pourtant, dit-il, j’ai lu que le gibier ne manquait pas en Égypte. C’est peut-être une fiction des voyageurs ?

— Non, répondit Ahmed. Il est vrai qu’en gibier comme en tout mon pays est le plus riche du monde. Quand le supplice de l’hiver commence dans vos climats, tout ce qui a des ailes pour s’enfuir gagne la vieille Égypte. Le Nil fourmille de canards et d’oies sauvages, de pélicans gris au bec énorme, de flamants roses aux jambes grêles, de hérons, de cigognes et de mille autres espèces dont nous ne savons pas même les noms. Les bécasses, les bécassines, les chevaliers, labourent à coups de bec le limon nourricier, les cailles pullulent dans les champs de bersim ; il y a dans le ciel des nuages de petits oiseaux, et l’on rencontre sur les digues des