Page:About - Le Fellah, souvenirs d'Egypte, 1883.djvu/24

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arbustes chargés de nids. Les gazelles bondissent dans le désert, les chacals, les hyènes et les loups-cerviers rôdent la nuit autour des villages. Oui, nous avons beaucoup de gibier, mais nous n’avons guère de fusils, et quant à moi, je n’en avais pas touché un lorsque je partis pour la France.

L’avoué reprit finement : — Il est bien singulier que là-bas, chez monsieur votre père…

— Mon père n’est pas un monsieur, c’est un mercenaire des champs ; il sort avant l’aube, il ne rentre qu’à nuit close, et j’estime qu’il peut gagner ainsi quarante centimes par jour. Notre maison, si tant est qu’elle existe encore, est un cube de terre qui mesure trois mètres en tous sens ; elle n’a ni toit ni fenêtres ; une botte de paille la couvre, une serrure de bois la ferme. Le mobilier se composait, il y a quatre ans, d’une natte, de deux cruches et de deux gamelles. Vous comprenez, monsieur, que nous n’avions pas plus de fusils que de pianos à queue.

La chute de sa phrase l’avait sans doute égayé, car il se mit à rire comme un enfant en montrant deux rangées de dents étincelantes.

Presque tous les convives furent persuadés qu’il se moquait, et dix objections partirent à la fois comme un feu de peloton.

— Le mobilier n’est pas complet ! vous oubliez l’armoire au linge.

— Quelle longueur a donc la paille pour couvrir une maison ?

— Par où la lumière entre-t-elle ?

— Où couche-t-on ?

— Combien étiez-vous là-dedans ?