Page:About - Le Roi des montagnes.djvu/33

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Le jour de l’enlèvement, le marchand avait la goutte, sa fille avait la fièvre, le petit garçon était pâle et boursouflé. Ils revinrent deux mois après tous guéris par l’exercice, le grand air et les bons traitements. Toute une famille recouvra la santé pour cinquante mille francs : était-ce payé trop cher ?

« Je confesse, ajouta Christodule, que notre ami est sans pitié pour les mauvais payeurs. Lorsqu’une rançon n’est pas soldée à l’échéance, il tue ses prisonniers avec une exactitude commerciale : c’est sa façon de protester les billets. Quelle que soit mon admiration pour lui et l’amitié qui unit nos deux familles, je ne lui ai pas encore pardonné le meurtre des deux petites filles de Mistra. C’étaient deux jumelles de quatorze ans, jolies comme deux petites statues de marbre, fiancées à des jeunes gens de Léondari. Elles se ressemblaient si exactement, qu’en les voyant ensemble on croyait y voir double et l’on se frottait les yeux. Un matin, elles allaient vendre des cocons à la filature ; elles portaient ensemble un grand panier, et elles couraient légèrement sur la route comme deux colombes attelées au même char. Haugi-Stavros les emmena dans la montagne et écrivit à leur mère qu’il les rendrait pour dix mille francs, payables à la fin du mois. La mère était une veuve aisée, propriétaire de beaux mûriers, mais pauvre d’argent comptant, comme nous sommes tous. Elle emprunta sur ses biens, ce qui n’est jamais facile, même à vingt pour cent d’intérêt. Il lui fallut six semaines et plus pour réunir la somme. Lorsqu’elle eut enfin l’argent, elle le chargea sur un mulet et partit à pied pour le camp d’Hadgi-Stavros. Mais en entrant dans la