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universel de la terre des paysans, par l’annexion en masse des allmends et des tenures censives aux fermes seigneuriales. Des milliers de petites exploitations rurales sont ruinées et transformées en domaines seigneuriaux, et leurs habitants deviennent vagabonds libres ; c’est le premier prolétariat. — Les domaines des seigneurs, qui constituaient auparavant l’agglomération des petites tenures censives, réunissent maintenant en eux deux types économiques : l’ancien, le cens, et le nouveau, la corvée. Sur une partie des champs les chaumières des paysans disparaissent, elles sont transformées en grande ferme ; l’autre partie demeure à l’état ancien, mais pour les tenanciers qui y sont établis s’ajoute une nouvelle obligation, la corvée sur la terre seigneuriale. Les revenus du seigneur sont maintenant doubles : les uns affluent sous la forme de cens et de contributions pécuniaires ; il obtient les autres par la vente sur le marché des produits de sa propre exploitation. La suppression des communaux est un fait général en Europe. Pour les paysans, ce fut la ruine, la destruction de la partie la plus importante de leur exploitation, de l’élevage du bétail. Maintenant, ils sont obligés de payer à part le droit de pacage, le droit de prendre du bois, du foin, des glands. L’ancienne aisance des paysans disparaît sans retour sous l’oppression des nouvelles charges féodales, auxquelles s’ajoute encore une charge plus lourde, la corvée. D’autre part, la forme monétaire des redevances, entraînant le paysan sur le marché, change complètement sa situation vitale. Le producteur auparavant indépendant, qui n’était soumis qu’aux influences immédiates de la nature, isolé et entièrement indépendant de la société, est maintenant pris dans le grand réseau des différents rapports sociaux, et assujetti qu’il est au marché, doit ressentir tous les changements et fluctuations, traverser avec lui les bons et mauvais temps. Son enclos tombe sous le pouvoir despotique de forces sociales aveugles, qui, en produisant une continuelle oscillation des prix sur le marché, se jouent impitoyablement de son bien-être économique. Sous l’influence de ces perturbations, une grande révolution morale se fait dans l’âme du paysan : la faillite de l’ancienne moralité serve, faillite dont on a l’expression dans les guerres des paysans, dans la nouvelle idéologie du communisme chrétien, prêché par Münzer, ainsi que dans une lente formation de tous les éléments psychiques que nous retrouvons plus tard dans le prolétariat, comme un type nouveau de l’esprit humain.

Mais la plus-value féodale en prenant la forme argent ne constitue pas encore le capital. La plus-value féodale conserve son caractère de