Page:Achard - Belle-Rose, 1847.djvu/138

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Le visage de M. d’Assonville se crispa. Une rougeur brûlante couvrit ses joues, la pâleur du marbre lui succéda, et durant quelques minutes elles passèrent tour à tour des teintes mates de l’ivoire à la couleur du sang. La fièvre faisait claquer ses dents. Belle-Rose allait et venait par la chambre, se tordant les mains.

– Je souffre un peu, reprit le capitaine ; pourquoi du premier coup ne m’a-t-il pas tué ? J’étouffe, j’ai toujours soif…

Belle-Rose lui présenta une tasse pleine de lait coupé de miel. Le capitaine en but une gorgée.

– C’est une tisane que tu me donnes là ! N’as-tu pas quelque bouteille de vieux vin de Bourgogne ?

Belle-Rose tira un flacon d’une armoire et remplit un verre. Il avait toujours dans les oreilles les terribles paroles du chirurgien. Si M. d’Assonville lui avait demandé de l’eau-de-vie, il lui en aurait donné. Le blessé avala deux grands verres coup sur coup.

– À la bonne heure ! dit-il, si la mort vient, elle me trouvera debout.

Il fit un effort et s’assit. Son visage se colora subitement, ses yeux s’enflammèrent, il sourit. Dans ce moment suprême, où la vie semblait lutter contre les premières atteintes de l’agonie, les traits de M. d’Assonville s’éclairèrent d’une beauté suprême. Belle-Rose crut le voir tel qu’il était le jour où, près de l’abbaye de Saint-Georges, il quitta les cavaliers hongrois.

– Ainsi, dit le capitaine, tu feras ce que je t’ai demandé ; je pars content. Et cependant je ne l’ai pas vue ! Tu me comprends, toi qui aimes !… Partir sans que la main d’une femme toujours adorée ait pressé votre main… c’est une grande douleur !… celle-là m’était réservée… Oh ! j’ai bien souffert !… Tu ne sais pas tout, tu n’as jamais lu dans ce cœur où vivait un souvenir cher et empoisonné ; il a tari les sources de l’espérance… Quand on a aimé comme je l’ai aimée, et que la solitude vient après, il faut mourir… Je meurs !… Tu pleures !