Page:Achard - Belle-Rose, 1847.djvu/139

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Ai-je donc rien à regretter ? Elle avait tué mon âme avant de tuer mon corps !

L’éclat de la fièvre luisait dans les yeux de M. d’Assonville ; on y voyait passer des lueurs étranges, tandis que sur sa bouche flottait le sourire de l’égarement. Un instant il s’arrêta ; ses yeux suivirent les contours du pavillon et revinrent se poser sur Belle-Rose.

– C’est toi qui m’as ramassé, lui dit-il tout à coup, toi qui m’as porté ! Qui t’a conduit ici ?

Belle-Rose rougit.

– J’étais poursuivi, répondit le sergent, un asile m’a été offert dans ce château, je l’ai accepté.

– Une bonne action !… Prends garde, sous cet asile il y a peut-être une tombe.

Belle-Rose regardait M. d’Assonville, dont les paroles lui paraissaient inexplicables ; le teint du moribond était devenu d’une pâleur livide ; sa voix était inquiète et sourde, l’agitation de son visage extraordinaire.

– On t’a sauvé !… Un jour aussi on m’a sauvé, je fuyais… Il y a bien des années de cela… j’avais vingt ans… Une jeune fille vint à moi, me tendit la main, m’entraîna… les cris de mes ennemis se perdirent dans l’éloignement… l’ange de mon salut quitta ma main et rougit… Qu’elle était belle, mon Dieu ! Elle me cacha bien des jours… je l’aimai toute ma vie ! Elle aussi m’aima ; mes transports la ravirent, son amour m’éblouit !… Que de fois ne suis-je pas revenu dans cette retraite où pour la première fois elle m’apparut !… J’étais ivre !… sa vue mettait le ciel dans mon cœur… Si elle m’avait dit : Je veux être reine, j’aurais conquis une couronne l’épée ou le poignard à la main, j’aurais marché sur le cadavre de mon roi ! Cet amour était un abîme de joies et de délices… Un an, je m’y plongeai… j’en revins morne, sanglant, brisé… La veille, j’aurais raillé les élus dans leur éternelle félicité ; le lendemain, j’avais l’enfer dans le cœur !… Mlle de La Noue s’était mariée.