Page:Achard - Belle-Rose, 1847.djvu/202

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L’officier pressa le pas.

– Voilà, monsieur, dit-il en s’arrêtant derrière les frênes, et du doigt il lui montra une ligne de tentes où, malgré l’heure avancée de la nuit, retentissait un bruit confus de chants et de cris.

Autour des tentes, éclairées par des chandelles fichées au bout des fusils, on voyait un grand nombre de soldats qui jouaient aux dés sur la peau des tambours ; d’autres dormaient ça et là, d’autres buvaient, d’autres encore se querellaient. Les bouteilles vides volaient en pièces, les joueurs juraient ; les plus irascibles soutenaient leur opinion le pistolet au poing ; les femmes allaient et venaient, s’arrêtant aux endroits où l’argent sonnait ; il y avait dans un coin un soldat qui râlait, la gorge ouverte, et près de lui deux cuirassiers qui vidaient sa bourse.

– Il y a là des hommes de tous les pays, dit l’officier à M. de Villebrais ; le moindre d’entre eux a déserté cinq fois : j’imagine qu’ils s’entendront avec vous.

M. de Villebrais jeta un regard froid sur l’Espagnol.

– C’est ce dont je vais m’assurer, dit-il, et il s’avança vers le premier groupe.

Cinq ou six soldats accroupis par terre agitaient un vieux cornet noirci par l’usage : les dés sonnaient en roulant sur les tambours.

L’un d’eux, qui avait perdu, chiffonnait sa moustache d’une main et fouillait de l’autre dans sa poche.

– Voilà cinq ducats ! dit celui qui avait gagné, qui les veut ?

– Voilà mon sabre pour cinq ducats, dit celui qui avait perdu, et, dégrafant le ceinturon, il le jeta sur le tambour.

– Ton sabre ! il en vaut deux à peine ; la lame est de fer et la poignée de cuivre.

– Eh bien ! voilà mes pistolets ! dit le soldat ; des pistolets qui ont tué dix catholiques et dix huguenots.

La main de M. de Villebrais se posa sur le bras du parieur.