Page:Achard - Belle-Rose, 1847.djvu/271

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cloître… Je prie et je pleure… je suis dans le monde comme si le monde n’existait pas… Ma vie s’écoule entre Dieu que j’invoque et un malade que je console… Je n’ai ni joie, ni repos, ni contentement !… Je me suis fait du mariage un tombeau, et vous dites que je ne l’aime pas !

Jamais Suzanne n’avait parlé avec cette exaltation ; Geneviève la regardait avec surprise et se sentait touchée jusqu’aux larmes à l’aspect de ce visage où se reflétaient tous les tourments et tous les sacrifices d’une âme un instant dévoilée. Geneviève tomba sur ses genoux.

– Vous l’aimez ! vous l’aimez ! mon Dieu ! Que suis-je auprès de vous ?

Quand Suzanne retourna auprès de M. d’Albergotti, elle était fort pâle ; ses yeux rougis gardaient encore les traces des larmes qu’elle avait versées.

Le malade lui prit la main.

– Vous pleurez, Suzanne, lui dit-il.

Suzanne s’efforça de sourire, mais ses forces étaient à bout ; elle laissa tomber sa tête sur sa poitrine et se mit à pleurer comme un enfant. M. d’Albergotti laissa passer les premiers sanglots sans l’interrompre, puis, quand Suzanne fut un peu calmée, il reprit :

– Que vous est-il arrivé ? N’êtes-vous pas ma compagne, une compagne que je chéris comme ma fille ? Parlez, Suzanne.

– Oh ! vous êtes secourable et bon ! s’écria madame d’Albergotti, qui se pencha sur la main de son mari et l’embrassa pieusement.

– Je suis vieux, voilà tout, reprit M. d’Albergotti avec un doux sourire : les passions n’ont plus guère le pouvoir de m’agiter, et je sais d’ailleurs qu’il ne peut rien sortir que d’honnête de votre cœur. Confiez-moi ce que vous avez.

– Oh ! dit Suzanne d’une voix tremblante, c’est une triste chose : un bon jeune homme, qui a été le compagnon de mon enfance, le fils de cet honnête Guillaume