Page:Achard - Belle-Rose, 1847.djvu/322

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– Se peut-il, madame, que vous ayez si peu vu le monde que ma proposition vous étonne ? continua M. de Pomereux avec une grâce parfaite.

– Elle fait plus que m’étonner, monsieur, elle m’afflige.

– Eh ! mon Dieu ! madame, s’écria le comte d’un air tout surpris, qu’y a-t-il donc de si affligeant dans le désir que j’ai de vous épouser ? Vous êtes telle, que la moitié des dames de la cour mourraient de dépit en vous voyant ; je suis gentilhomme, nous sommes jeunes tous deux. Quoi de plus simple ?

– Mais, monsieur, mon cœur n’est plus à moi ! reprit Suzanne avec impatience.

– Ma foi, madame, j’ai à ce sujet-là des théories qui sont celles de beaucoup d’honnêtes gens, répondit le comte sans sourciller. On ne croit plus guère aux amours inaltérables, et au temps où nous vivons, les bergeries ne sont guère de mode. Il faut vraiment que vous ne soyez jamais sortie de Malzonvilliers pour en savoir si peu sur ce chapitre-là. En affaire de mariage, l’amour est un intrus, et nous ne sommes point gens à le réclamer de nos femmes. On se marie pour se marier, et on n’a garde de se chicaner sur les sentiments qu’on peut avoir ailleurs. Eh ! que diable ! on aurait trop à faire. Il y a de jeunes têtes que ces choses-là épouvantent, mais tout s’arrange à la fin le mieux du monde. C’est un état auquel vous vous accommoderez, et pour ma part je suis tranquille là-dessus. Je ne suis point un Mélibée, madame, pour m’aller cacher au fond des bois. Quelque jour vous m’aimerez peut-être, et, en attendant, nous serons comme des mariés de bonne maison.

Suzanne resta muette à ce discours. Jamais, ni quand elle était jeune fille, ni quand elle appartenait à M. d’Albergotti, elle n’avait entendu parler de la sorte à propos du mariage. Il lui semblait que M. de Pomereux s’exprimait en une langue inconnue. Elle mit sa tête entre ses