Page:Achard - Belle-Rose, 1847.djvu/346

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– Mais, malheureuse enfant, s’écria Suzanne, vous n’avez donc ni mère ni père ?

– Je n’ai plus de mère… elle est morte quand j’avais quinze ans.

– Et votre père ?

– Mon père ?… Ses cheveux ont blanchi dans une nuit… on a fait un cadavre de cet officier du roi… Il entend… il regarde… il ne comprend plus.

– Et personne, personne autour de vous ! ni frère, ni parents ?

– Des parents ! oh ! si… j’en ai plusieurs… j’en ai trop peut-être. Nous étions riches, nous, et si riches, que plusieurs nous enviaient ! C’est horrible ! horrible !

Gabrielle tremblait de tout son corps. Suzanne l’écoutait, épiant sur ses lèvres le terrible secret qui allait s’en échapper.

– Ce fut ma mère qui mourut la première, belle, jeune, adorée ; elle pâlit un jour, puis souffrit le lendemain, puis se coucha ; elle se plaignit quelques jours encore et ne se releva plus. Ma sœur n’aimait qu’elle au monde. Cette mort la rendit comme folle, et, sans savoir ce qu’elle faisait, elle courut dans un couvent, un couvent comme celui-ci, avec des arbres et de la lumière tout autour, le silence et l’ombre au milieu… Elle en voulut sortir un jour pour retourner auprès de notre père ; ce jour-là, il lui passa un frisson dans tout le corps, tenez, comme à moi ; elle lutta contre le mal, mais le mal fut le plus fort. Elle ne sortit plus du couvent que pour aller au cimetière avec une couronne de roses blanches au front.

– Pauvre fille ! murmura Suzanne.

– Est-ce de moi ou de la morte que vous parlez ? reprit Gabrielle ; nous aurons même destin. Il nous restait un frère, un seul, un enfant, une adorable petite créature de six ans, folle, joyeuse, franche, les lèvres roses, les yeux doux comme des fleurs, le cœur sur sa bouche qu’il donnait à tout le monde. Pauvre Henri ! un