Page:Achard - Belle-Rose, 1847.djvu/362

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– Mon Dieu ! celui que j’aime l’ignore, et vous le savez !

– Ma chère sœur, reprit Suzanne, les femmes se devinent entre elles. Confiez-moi donc ce grand secret ; en passant de votre cœur au mien, il trouvera un cœur aimant.

Gabrielle se souleva et chercha sous la doublure de son oreiller ; elle en tira une petite boîte qui contenait une lettre et une tresse de cheveux. Elle déploya la lettre et la pressa contre ses lèvres ; ses yeux s’inondèrent de larmes.

– Voyez, dit-elle, mes pleurs en ont presque effacé l’écriture. Voilà trois ans que je vis de cette lettre.

– Pauvre enfant, elle en meurt ! soupira Suzanne, qui sentait son cœur se gonfler.

– C’est tout ce que j’ai de lui, reprit Gabrielle d’une voix triste ; voilà trois ans que je ne l’ai pas revu, et il ne sait pas que je vais mourir.

– Oh ! Gabrielle ! qui que ce soit, s’il avait connu cet amour, il vous aurait sauvée.

– Lui ! mais s’il m’avait recherchée en mariage, on l’aurait tué ! J’ai préféré mourir ! s’écria Gabrielle en se pressant contre Suzanne.

Suzanne frémit tout entière.

– Voilà comment cet amour est arrivé, continua Gabrielle en s’essuyant les yeux. Nous étions à la campagne, dans notre terre de Mesle, près de Mantes, mon père, ma sœur et moi. Notre pauvre mère vivait encore. C’était l’heureux temps. Le chevalier d’Arraines, c’est son nom, et vous êtes la première à qui je l’aie nommé, vint nous rendre visite. Il avait vingt-deux ou vingt-trois ans ; il était aimable, fier, sensible. Sa vue me fit éprouver un trouble singulier, et toute la nuit je ne pus m’empêcher de penser à lui. Ce trouble augmenta les jours suivants ; il s’y mêlait des sensations inconnues qui me ravissaient, et cependant je n’osais en parler à