Page:Achard - Belle-Rose, 1847.djvu/446

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M. de Charny regarda M. de Pomereux, sourit et ne répondit pas.

– Allons, pensa le comte, s’il se tait, c’est qu’il me croit perdu.

Un quart d’heure se passa dans un profond silence. Les chevaux, animés par la course, creusaient le sol de leurs sabots ; M. de Charny allait et venait, sombre et menaçant, devant la grande porte de l’abbaye. M. de Pomereux examinait à la dérobée l’amorce de ses pistolets.

– Après tout, se disait-il, ce M. de Charny est un bandit, et j’en serai quitte pour un voyage à l’étranger.

Il venait de l’intérieur de l’abbaye une rumeur confuse, et l’on voyait luire, derrière les vitraux, des clartés qui faisaient tout à coup rayonner les saints et les vierges dans leurs nimbes d’or. Bientôt la rosace et les vitraux s’illuminèrent ; on entendit les soupirs de l’orgue qui s’éveillait, et le grand édifice de pierre versa sur la campagne endormie l’harmonie et la lumière. M. de Charny et M. de Pomereux se regardèrent tout étonnés. Au même instant la grande porte de l’abbaye s’ouvrit à deux battants, et un spectacle merveilleux s’offrit aux regards des cavaliers. Le sanctuaire de l’abbaye resplendissait ; mille bougies fichées aux bras des lustres et dans les candélabres d’argent, faisaient étinceler les châsses et les croix ; les bannières flottaient autour de l’autel et l’encens fumait dans les cassolettes ; les sœurs inclinées sous leurs voiles chantaient les hymnes sacrées, et l’on voyait, au pied de la croix protectrice, les fugitifs agenouillés. Le Christ semblait les couvrir de ses bras mutilés, et les anges de marbre élevaient vers le ciel leurs mains jointes dans l’attitude de la prière. Au moment où la porte roula sur ses gonds, l’abbesse, précédée de la croix et de la bannière, et suivie des religieuses rangées en longues files, se tourna vers le porche. Un nuage bleuâtre volait sur leurs pas, et les bougies du chœur qui scintillaient comme des étoiles en piquaient la transparence