Page:Acker - Petites Confessions, sér1, éd3.djvu/22

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pour Danton et mon horreur pour Robespierre. Voyez, elles sont déjà dans ces quelques lignes et ce livre renferme même cette idée, que je crois capitale, que la Révolution a été avant tout nationale. Dans les discours, les orateurs peuvent bien crier qu’elle est cosmopolite. Les faits prouvent le contraire. Nous l’avons propagée chez des peuples étrangers, c’est vrai, mais ce sont ces peuples qui, à leur tour, ont fait une révolution nationale. Les idées abstraites…

Ce n’est plus l’académicien, c’est le professeur aux Sciences politiques qui est devant moi. Les mains, qui frappent la table, accentuent de leurs coups répétés les démonstrations ; la voix s’est animée, elle veut convaincre et prouver ; le bras se tend, comme pour apporter des arguments. Soudain, M. Sorel s’interrompt et se prend à rire.

« Tiens, c’est un cours que je vous fais. »

M. Albert Sorel s’est levé. Il a quitté la table qui faillit se transformer en chaire professorale et, désertant les jardins de l’histoire, il évoque, comme mes yeux sont fixés sur les aquarelles de Boudin, les ciels gris et bleus de la côte normande, avec la mer moutonnante et les collines vertes, « toute cette nature colorée, mouvante, contrastée, tour à tour riante, épanouie, mélancolique, douloureuse à l’automne, hérissée en hiver et peuplée de fantômes, qui enchante, berce, endort, trouble, épouvante[1] ». Les bruits de la rue arrivent, affai-

  1. Eugène Boudin, discours prononcé par M. Albert Sorel, le 13 août 1899.