Page:Acker - Petites Confessions, sér1, éd3.djvu/30

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l’ennuie, dit-elle amusée, avec une légère et ironique miséricorde, et, quittant le canapé, elle traverse la chambre, s’enfonce dans un fauteuil :

— Laissons la politique, voulez-vous ? ajoute-t-elle ; nous ne nous entendrons jamais.

Nous ne nous entendrons jamais, en effet, j’en ai peur, et Mme de Noailles me rappelle ces femmes curieuses et trop intelligentes qui, à la veille de 89, applaudissaient Beaumarchais et les philosophes, et travaillaient elles-mêmes à leur ruine. D’ailleurs, ce n’est pas l’utopiste disciple de M. Jaurès que je suis venu voir, c’est le poète qui comprit et aima l’âme profonde et multiple de la nature, « la lumière du jour et la douceur des choses, l’eau luisante et la terre où la vie a germé », et c’est aussi le romancier. Et je songe avec un excusable dépit que les plus belles œuvres de cet hiver ont été écrites par des femmes, La Maison du Péché, ce grave et ardent roman ; L’Inconstante, ce conte délicieux de volupté insoucieuse ; La Nouvelle Espérance enfin. Sur la table de travail, j’aperçois, d’ailleurs, à côté d’un numéro déchiré de L’Action française, les deux premiers volumes du théâtre d’Hervieu, tout près de L’Inde, de Loti, et Mme de Noailles, qui a suivi mon regard, ne contient pas une minute les éloges qui se pressent sur sa bouche. Quelle faculté de se passionner et d’admirer ! Maintenant, les noms de tous ceux qui sont les maîtres de son esprit et de sa plume, Montaigne, Michelet, Vigny, Baudelaire, Barrès, France, montent à ses lèvres. C’est d’elle-même