Page:Adam - Mes premières armes littéraires et politiques.djvu/236

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Mordant, spirituel, parlant de toutes choses, que toutes il savait, puis soudainement vulgaire, personnel, outrecuidant, tel m’apparut alors Wagner.

« Moi seul, dit-il, répondant à je ne sais quelle phrase de Bulow sur une théorie musicale, je puis faire cela. Nul autre au monde n’osera le tenter, vous entendez, Bulow.

— J’entends, repartit celui-ci avec soumission, mais quelle forte tête il faudra pour fermer, après l’avoir ouvert, un tel cycle… Ce serait faire éclater tout autre cerveau que le vôtre.

— Moi, repartit Wagner en riant et avec un accent tudesque, on n’a jamais su si j’étais un hydrocéphale ou un homme de génie.

— Il a du premier, dis-je bas à Mme d’Agoult.

— Surtout du second, » ajouta-t-elle un peu sévère.

L’oreille de Wagner était d’une finesse extrême. Il nous avait entendues, car il nous envoya à chacune le merci que nous méritions.

Il parla alors des Parisiens et de leur goguenardise avec beaucoup d’esprit. Il dit son chagrin de n’être pas compris en France et d’avoir pour ennemi un rival de la taille de Berlioz.

Mme d’Agoult, qui aimait Berlioz malgré l’âpreté de son caractère, et qui savait l’état des relations de Wagner avec lui, répliqua :

« Vous n’êtes faits ni l’un ni l’autre pour vivre jamais en bonne intelligence. »