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HISTOIRE

tion croissant avec leur nombre, il faut les occuper sur-le-champ, ou bien s’attendre aux plus grands désastres.

Après que les ingénieurs se furent retirés, le ministre resta en conférence avec M. Émile Thomas, M. Buchez et M. Boulage, secrétaire général du ministère. M. Buchez exposa au ministre que les frais des ateliers nationaux devenaient trop considérables pour que les revenus de la ville y pussent suffire[1]. Il serait urgent, disait-il, de faire supporter par le Trésor une partie de cette dépense extraordinaire. En tous cas, il fallait commencer à réduire la paye de non-activité, afin d’arriver insensiblement à une suppression totale. Le ministre redoutait l’effet de cette mesure et n’osait en prendre la responsabilité. On commençait à s’alarmer sérieusement de cette armée fainéante, dont on avait cru tirer un si bon parti. On sentait qu’elle échappait à ses chefs et qu’il serait bientôt aussi difficile de la maintenir que de la dissoudre.

M. Émile Thomas rassura le ministre et se fit fort d’opérer la réduction du salaire et, dès le lendemain, 16 mars, il annonça dans une proclamation[2] que la paye ne serait plus dorénavant que d’un franc par jour pour les ouvriers sans ouvrage. Sa confiance ne fut point trompée. Le sentiment de la justice et la honte de retenir un salaire immérité parlèrent plus haut que le besoin dans ces masses troublées, mais non corrompues. Les prolétaires montrèrent une fois encore combien, même dans les circonstances les plus cri-

  1. Dans ces premiers temps la comptabilité des ateliers nationaux fut à peu près nulle. On mentionnait la recette et la dépense sur un simple carton. Les fonds destinés à la paye se distribuaient sans garantie, sans contrôle, sans responsabilité sérieuse, sur un reçu des agents chargés de la répartition ; un grand nombre de doubles payements et même de fausses signatures résultèrent de cette absence de contrôle, et d’administration régulière. La dépense du premier mois fut de 1,400,000 francs environ. Le 25 mars, un inspecteur des finances, M. Roy, fut envoyé pour organiser la comptabilité. Malgré un complet désordre, il ne constata cependant qu’un déficit de 600 francs.
  2. Voir aux Documents historiques, à la fin du volume, n° 16.