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MAURIN DES MAURES

— Il ne faut jurer de rien, dit Pancrace ; mais, croyez-moi, frère Panuce, tout âne, si solitaire qu’il paraisse, me fait penser à un homme, à un homme qui est son maître… Cet âne-ci doit en avoir un !

— Je vous entends, dit Panuce, je ne vous entends que trop. Eh bien, voici ce qu’il nous faut faire. Je vais, moi, tout seul, conduire l’âne au couvent avec sa charge, qui est la nôtre, et je le ramènerai au plus tôt ici. Vous, mon frère, attendez-moi patiemment sur place, au pied de cet olivier, et si le maître de l’âne survient avant mon retour, vous lui expliquerez comment, par la permission de Dieu, nous le lui avons, pour une toute petite demi-heure, très humblement emprunté.

« Là-dessus, Panuce s’éloigne par le sentier montant, tenant la queue de l’âne pour se faire traîner un peu et se peser d’autant moins à lui-même… Et Pancrace demeura seul, assis sur le tronc de l’olivier où était tout à l’heure attachée la corde du bourriquet, assez semblable à la corde qui ceinturait sa robe de moine.

« À peine le dernier cri lointain de Panuce : « I, l’aï ! » s’éteignait-il tout là-haut, au détour de la draye, sous les pinèdes, que le paysan Marius Mangeosèbe surgit devant Pancrace.

« Pancrace ouvrit aussitôt la bouche pour raconter toute l’affaire, et comment il se faisait qu’en cette même place Mangeosèbe trouvât un moine au lieu d’un âne ; mais le moine fut moins prompt à expliquer la métamorphose que le paysan à en exprimer sa surprise, qui était grande. Et déjà Mangeosèbe s’était écrié :

— Bonne mère des anges ! Sainte Vierge couronnée ! que m’arrive-t-il !… Ai-je la berlue ? Voilà mon âne qui s’est changé en moine par la permission de Dieu !… Oï !