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MAURIN DES MAURES

aï ! oï ! oï ! que dira ma femme, pauvre de moi !… Je sais bien qu’il la faisait souvent enrager, ce bougre d’âne ! mais enfin il n’en portait pas moins au village nos courges et nos pastèques et, selon la saison, notre blé ou nos olives au moulin ! Oï ! oï ! aï ! las !… que vais-je faire d’un moine, à présent ? quel besoin avais-je d’un moine !

« Pancrace, voyant Mangeosèbe si bête et si saintement crédule, voulut s’en amuser un peu, et par pure plaisanterie, gravement il lui dit :

— Oh ! mon maître !… Je vous plains de tout mon cœur, puisque ce qui fait ma joie fait votre ennui… Mais n’est-ce pas la règle d’ici-bas, hélas ! que le bonheur de l’un fasse le malheur de l’autre ? Ainsi vont les choses terrestres. Et j’ai quelque satisfaction, je l’avoue, à vous remercier avec une voix humaine, des bons coups d’étrille et de la bonne herbe que vous m’avez quelquefois donnés…

« Pour ce qui est des coups de trique, j’en avais tous les jours et ration double ; n’en parlons plus, s’il vous plaît… Mais voici ce qui arrive et l’explication de cette aventure. Autrefois, bien avant d’être un âne, j’étais un moine, né dans la moinerie… Or, j’eus le malheur, tout moine que j’étais, de commettre un gros, un très gros péché… car la chair est faible, et Dieu — juste punition de ma faute — fit de moi, pechère, un pauvre âne, le pauvre âne dont vous devîntes un jour le maître, sans vous douter, pechère ! que vous aviez acheté un moine à la foire ! Et voilà que mon temps d’ânerie, comme qui dirait mon temps de galères ou plutôt de purgatoire terrestre, vient de finir à l’instant, et là, à cette place même où vous m’aviez attaché, là,