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MAURIN DES MAURES

canard, c’est peut-être aussi parce que mon grand-père m’a souvent conté que dans sa petite enfance, au temps des rois, tous les canards de Solliés-Pont, où il était né, avaient pris parti pour la République.

— Que nous chantez-vous là !

— La pure vérité. Vous savez que la rivière du Gapeau traverse la ville de Solliés. La ville, d’ailleurs, le lui rend bien, et elle traverse la rivière, sur un pont. Ce pont, les habitants ont eu la bonne idée de le jeter, comme les ponts de Paris, en travers de la rivière ! ce qui prouve une grande sagesse, car s’ils l’avaient fait cheminer dans le sens du cours de l’eau, vous comprenez bien que jamais ils n’auraient pu passer d’une rive à l’autre.

« Il y a donc un pont à Solliés. Et sous le pont un peu d’eau et beaucoup de canards, des troupeaux de canards appartenant aux gros riches de la ville.

« — À l’époque où j’étais petit, disait mon grand-père — lequel était un républicain dans le temps où il n’y en avait pas plus de dix-huit en France — ce nombre n’est jamais dépassé de beaucoup sous les rois — à l’époque où j’étais petit, il y avait tous les jours nombre de canards sous le pont de Solliés, et quantité d’imbéciles dessus, qui occupaient leur temps à regarder les canards jouer dans l’eau.

« Or, tous les riches étaient royalistes, aussi bien et même mieux que tous les pauvres de ce temps-là, parce que les uns et les autres croyaient que c’était leur intérêt. Tous les canards de Solliés appartenaient donc à des royalistes. Alors, moi, j’eus l’idée de faire porter aux canards, à tous les canards de Solliés, les couleurs de la République. Et voici comme j’y parvins.