Page:Aimard - Les Flibustiers de la Sonore, 1864.djvu/11

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ne sera point ingrat envers ceux qui l’auront aidé dans sa tâche ; il saura distinguer entre les amis de la première heure, et ceux de la dernière. Si pour lever l’étendard de l’indépendance, pour commencer l’agitation, le général Guerrero avait compté sur cinq cents braves aventuriers, comme ceux que vous levez en ce moment, si vous lui donniez l’appui de votre épée, il reconnaîtrait ce service, pour vos compagnons par de l’or ; pour vous, non par une riche hacienda, mais par une province tout entière !

Horace, le regardant. Le général est généreux !

Guerrero. Nul doute qu’il ne vous offre dans son armée un grade supérieur.

Horace. C’est magnifique !

Guerrero. Une haute fonction dans son gouvernement.

Horace. C’est splendide !

Guerrero. Ainsi, c’est convenu ?

Horace. Quoi ?

Guerrero. Vous êtes avec nous ?

Horace. Ah ! ça, dis-moi, tu ignores donc une chose, toi qui cependant as l’air de tout savoir (mouvement de Guerrero) c’est que Santa-Anna, qui m’a donné la concession des terres que je pourrais conquérir, et le privilège de lever une troupe armée, a eu foi en mon honneur de gentilhomme ? Santa-Anna, président de la république mexicaine, ordonne aux autorités, non-seulement de me traiter en ami, mais de me fournir ce dont j’ai besoin, et tu viens me parler de le trahir ? hors d’ici, drôle !

Guerrero. Monsieur le comte, vous ignorez dans quel pays vous êtes ?

Horace. Tu oublies de quel pays je suis !

Guerrero. Souvenez-vous que votre troupe doit passer en Sonore, dont le général est gouverneur.

Horace. Le comte Horace d’Armançay va partout, et quand il rencontre des obstacles, il les écarte, ou il les brise ! (Il va au comptoir vérifier les listes d’Yvon, qui pendant la première moitié de cette scène a continué d’inscrire les engagés volontaires. Pendant ce dialogue, un homme enveloppé d’un zarapé, s’est avancé lentement, a examiné le comte et Guerrero et a suivi le jeu de physionomie des deux interlocuteurs.)



Scène XI

Les Mêmes, DON LUIS.

Guerrero, regardant partir le comte. Voici un Français bien orgueilleux et bien téméraire. (Horace a rejoint Tigrero, de Sauves, etc. Ils se sont écartés par la droite.)



Scène XII

GUERRERO, DON LUIS.

Guerrero s’est assis à une table, don Luis s’asseyant à côté de Guerrero et bas.

Don Luis. Général, n’avez-vous pas assez de puissance pour ne pas le craindre ?

Guerrero, en sursaut. Hein ! Qui êtes-vous ?

Don Luis. Je viens de la part de don José d’Aguilar.

Guerrero. D’Aguilar, de Mexico ?

Don Luis. Voici deux mots de lui, pour vous.

Guerrero, lisant. Vous êtes son neveu ! je croyais qu’il n’avait qu’une nièce.

Don Luis. C’est que vous connaissez mal sa famille. Je me nomme don Luis d’Aguilar ; si je suis bien informé, vous êtes ruiné, vous vivez d’expédients, quoique gouverneur de la Sonore, et vous êtes le tuteur d’une nièce… orpheline, qui a cinq millions de fortune ; suis-je bien renseigné ?

Guerrero. Est-ce là tout ce que vous êtes venu me dire ?

Don Luis. Vous conspirez la chute de Santa-Anna, et il vous faut de l’argent. Quelle que soit la somme dont vous ayez besoin, j’ai mission de vous la proposer.

Guerrero. De la part de don José ?

Don Luis. Vous savez qu’il est le plus riche banquier des Amériques ?

Guerrero. Je le sais… Et que demande don José en échange du service qu’il me propose ?

Don Luis. Une seule chose.

Guerrero. Laquelle ?

Don Luis. Que vous épousiez doña Angela, votre nièce !

Guerrero, souriant. C’est là tout ? Ah ! je comprends ! on veut que la fortune de doña Angela garantisse le prêt.

Don Luis. C’est cela ! mais ne croyez pas la chose facilement réalisable. À l’heure où je vous parle, le cœur de votre nièce pourrait bien être pris, et vous savez si le cœur est entêté chez les Mexicaines. Doña Angela aime son sauveur.

Guerrero. Le comte Horace ?

Don Luis. Et il mérite d’être aimé ; vous venez de le voir.

Guerrero, haussant les épaules. Est-ce là le seul obstacle à mes projets ?

Don Luis. C’est du moins le plus grand.

Guerrero. Dans quinze jours, à mon château d’Hermosillo, je vous présenterai ma fiancée.

Don Luis. Et dans quinze jours, don José ou son représentant vous y comptera la somme que vous indiquerez.

Guerrero. C’est bien ! au revoir !

Don Luis. Au revoir !



Scène XIII

HORACE, ARTHUR, TIGRERO, DE SAUVES, GUERRERO, SHARP, SANDOVAL, YVON, Foule.

Voix de la foule. Oui ! oui ! parlez ! parlez ! l’expédition est superbe… ! C’est une vraie affaire ! moi je m’engagerai !

Horace, montant sur une table. Gentlemen ! Caballeros ! Señores ! messieurs ! depuis longtemps déjà vous connaissez mes projets, le gouvernement les approuve, nos actions font prime, notre entreprise est magnifique. Ceux qui partiront avec nous sont assurés de trouver dans cette expédition la fortune et la gloire ! Deux cents braves se sont déjà fait inscrire, ces noms deviendront un jour célèbres.

Tous. Oui, oui !

Sharp, à mi-voix. Célèbres, devant les tribunaux ! (On voit un certain nombre d’hommes amenés par Cornélio, se grouper autour de Guerrero. Parmi ces hommes, Sandoval qui lui présente Sharp.)

Horace, continuant. Il ne manque plus qu’une centaine d’hommes !

Guerrero. Il lui faut encore des victimes !

Horace. Gentlemen ! c’est à votre courage, à votre ambition que je viens faire appel ! Qui veut de la gloire ? qui veut de l’or ? (On entend des murmures divers.)

Sharp. Qui veut des coups ?

Guerrero. Qui veut mourir de faim ?

Sandoval. Qui veut épouser la potence ?

Guerrero. C’est un intrigant qui vous trompe ! Il ne connaît même pas le pays dont il parle.

Sandoval. C’est vrai, il ne le connaît même pas ! (Le comte descend et se jette au milieu de la foule qui recule.)

Tigrero, qui s’est approché du comte. C’est cet homme qui déconsidère l’expédition ! (Il prend son revolver.) Je vais lui casser la tête d’un coup de revolver.

Horace, froidement. Laisse-moi faire. Messieurs, je sais qu’il y a parmi vous un homme qui ment et qui prétend que je n’ai pas d’autorisation du gouvernement mexicain. Cet homme je le dénonce à votre mépris, le voilà !… (Il va prendre Guerrero dans le groupe et l’amène au milieu de la scène.)

Guerrero, avec énergie. Prenez garde, monsieur, je vais vous tuer !

Les hommes de son parti. Bravo ! bravo !

De Sauves. Lui ! c’est bien lui ! Valentin, c’est Guerrero !

Tigrero. Oui ! voilà la cicatrice que lui a faite mon couteau !

Horace. Pardon, monsieur, n’avez-vous pas dit que vous vouliez me tuer ?

Guerrero. Oui, si vous n’expliquez pas…

Horace. Mes paroles… c’est ce que je vais faire. Messieurs, cet homme est un menteur, un traître et un lâche ! Un menteur, parce qu’il affirme que je n’ai pas de concession du gouvernement mexicain ! cette concession, la voici, signée de Santa-Anna ! Un traître, parce qu’il n’y a qu’un quart d’heure, encore, cet homme me proposait un marché honteux. Un lâche, enfin, parce qu’il n’ose pas dire qui il est et se cache sous un habit d’emprunt.

De Sauves, bas à Tigrero. Si je le lui disais, son nom ?

Tigrero. Arrête ! il ne le tuerait pas.

Guerrero. J’espère que vous allez me rendre raison.

Horace. À l’instant !… messieurs l’affaire va se vider ici même. Que l’on s’écarte. (La foule se retire au fond.) Monsieur, dont j’ignore le nom, vous êtes l’offensé, c’est donc à vous de tirer le premier… vous allez tirer sur moi, à six pas. (Les assistants se divisent en deux groupes, le comte croise les bras.)

Yvon. Comment, monsieur, vous appelez cela un duel !

Tigrero. C’est impossible !

De Sauves. C’est trop de générosité !

Horace Laissez-moi, messieurs, il faut imposer à cette foule qui nous lapidera dans un quart d’heure, si nous ne la domptons à force d’audace. — Êtes-vous prêt, monsieur.

De Sauves. Sois tranquille, Tigrero, le crime n’a pas la main sûre.

Guerrero, sur le point de tirer. Tigrero !… (Sa main tremble ; il tire.)