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Horace. Vous êtes un bien mauvais tireur ! (Armant son pistolet.) À moi, monsieur !

De Sauves. Ami, j’espère que vous n’allez pas épargner cet homme, l’assassin de sa belle-sœur ! l’assassin de son frère ! c’est Guerrero !

Horace. Guerrero ! l’oncle d’Angela !

Guerrero. Eh bien ! monsieur, en finirez-vous ?

Horace. Monsieur, vous dont je sais le nom à cette heure, et que je peux perdre en nommant, je ne veux vous donner qu’une leçon de politesse…, quand deux gentilshommes français se trouvent face à face, pour se tuer, ils ont coutume de se saluer… vous avez eu tort de garder devant moi votre chapeau sur la tête. (Il tire, le coup part et le chapeau de Guerrero vole à vingt pas.)

Arthur, enthousiasmé. Enlevé !… c’est pesé !…

Tous. Hourra ! bravo le comte ! vive Horace d’Armançay ! (Foule près d’Yvon, au fond.)

Voix de la foule. Moi ! je m’engage, moi ! moi !

Voix. En Sonore ! en Sonore !

(Tableau.)




ACTE II


Tableau IV

Le Flibustier.
Salon mexicain richement meublé. — À droite et à gauche, salons à pans coupés, illuminés, au fond galerie.


Scène I

GUERRERO, ANGELA, ANTONIA, Invités, SANDOVAL, SHARP.

Guerrero, au fond du théâtre ; tous sont groupés autour de lui, il tient Angela par la main. Messieurs, je vous remercie d’avoir bien voulu vous joindre à moi pour fêter le retour de ma nièce bien aimée ! (Les officiers lui serrent la main.) Merci ! merci ! — Angela cette affection de tous ne vous rend-elle pas heureuse ? Serez-vous la seule à ne la pas partager ?

Angela, bas. Mon oncle !

Guerrero, même jeu. Souriez mon enfant ! Si vous saviez combien je serais heureux de vous voir sourire !…

Antonia. Et si vous avez quelque tristesse au fond du cœur, doña Angela, vous nous direz vos chagrins de jeune fille, notre amitié saura les éloigner.

Guerrero. Elle tremble encore de la grande frayeur que lui ont faite les Indiens.

Antonia. Vous avez couru de grands dangers, señorita, pendant votre voyage ! oh ! je ne vous quitte plus, vous allez nous conter cela ?

Sandoval. Une partie de monté, messieurs ! (Ils sortent à droite.)



Scène II

GUERRERO, SHARP, puis SANDOVAL, ANTONIA, ANGELA.

Guerrero, à Sharp. Eh bien ! quelles nouvelles de New-York ?

Sharp. Le dernier courrier est bon.

Guerrero. Mais vous le savez, il me faut de l’argent tout de suite.

Sharp. Vous aurez de l’argent, beaucoup, quand les mineurs de notre compagnie seront entièrement maîtres des placers de la Sonore.

Guerrero. Mais votre compagnie américaine est déjà formée…

Sharp. Oui ! mais la compagnie française n’est pas déformée assez.

Guerrero. La bande du comte Horace, qui campe depuis hier à une lieue d’Hermosillo ? Ah ! tranquillisez-vous, elle ne subsistera pas longtemps !

Sharp. Eh bien, quand elle ne subsistera plus… du tout… la compagnie américaine vous versera les sommes convenues.

Guerrero. Diable d’homme !

Sandoval, rentrant. Décavé !

Antonia, revenant avec Angela. Mais on m’avait peint ces Français sous des couleurs horribles, des pirates, des coupeurs de bourses, que sais-je ?

Angela, s’animant peu à peu et arrivant jusqu’à l’enthousiasme. Ah ! señora, celui-là est un homme noble, brave, vraiment généreux. Si vous l’aviez vu au combat : terrible, menaçant, rapide comme la foudre, au plus fort de la mêlée ; puis, quand il m’eut sauvée et transportée mourante jusque dans son camp, me disputant une seconde fois à la mort ; oh ! je vous l’ai dit, señora, cet homme est grand !

Guerrero, qui pendant cette tirade s’est approché et a écouté. À l’enthousiasme de ma charmante nièce, je devine qu’il s’agit de son mystérieux sauveur, de ce héros de la forêt. Ce monsieur ne s’est-il pas mis dans la tête, sous prétexte de je ne sais quelle autorisation du gouvernement…

Sandoval. De quoi se mêle le gouvernement, je vous prie !

Guerrero. Ce héros à bon marché s’est imaginé d’aller, avec des aventuriers de son espèce, conquérir les placers de notre province pour les exploiter.

Sandoval. Mais c’est du vol à main armée !

Guerrero. C’est de la folie ! Ce prétendu comte Horace fait mine de résister aux ordres que je lui ai intimés, mais je saurai le châtier, comme il le mérite. Dans ce cas, messieurs, je donnerai trois mille piastres à celui qui me l’amènera vivant, car je ne veux pas que ce coquin ait l’honneur de mourir de la mort du soldat.

Angela, pendant le récit de Guerrero s’est montrée fort émue, aux dernières paroles, elle vient se placer en face de son oncle. Mon oncle, vous ne ferez pas cela !

Guerrero, furieux, mais souriant hypocritement. Ah ! oui… j’oubliais… le héros !…

Angela. Mon oncle, vous ne tuerez pas l’homme qui a sauvé la vie à celle que vous prétendez aimer !

Guerrero, bas. Angela, cette voix qui s’élève pour défendre un étranger, pourrait me dicter des ordres, car je vous aime, Angela, je vous l’ai dit, il faut que vous soyez ma femme.

Angela. Il faut !

Guerrero, s’animant peu à peu. Doña Angela, en dehors de mon amour, il y a des convenances de famille, des intérêts d’État qui rendent cette union indispensable.

Angela. Mon oncle, je vous ai déjà répondu que la mort me semblerait préférable à la contrainte de ma volonté.

Guerrero, avec un mouvement de rage. Votre volonté ! (Voyant don Luis qui entre.) Ah ! don Luis ?

Don Luis. Laissez-moi lui parler ; j’ai autant d’intérêt que vous à ce que votre mariage s’accomplisse. (Depuis quelques instants on a entendu au fond un orchestre jouer des airs de contredanse ; petit à petit les assistants se sont éloignés.)



Scène III

DON LUIS, ANGELA.

Angela, regardant sortir Guerrero. Cet homme m’effraye, je ne sais quelle terreur invincible je ressens en sa présence.

Don Luis. Vous souffrez, doña Angela ?

Angela. Oui ! don Luis !

Don Luis. Eh bien si vous connaissez le caractère de Guerrero, vous devez savoir que sa volonté s’accroît en raison de la grandeur des obstacles. Aujourd’hui, l’obstacle à ses desseins c’est le comte, il le brisera !

Angela. Mais le comte m’a sauvé la vie !

Don Luis. Oui, et il vous a inspiré un amour qui sera sa perte, comme il sera la vôtre ! Réfléchissez, doña Angela !…

Angela. Oh ! mes réflexions sont toutes faites… J’ai là, dans le cœur, un sentiment que j’ignorais il y a un mois, et qui depuis qu’il y est entré commande en maître. Je me suis juré de n’obéir qu’à cet amour né aux portes de la mort et fait d’admiration et d’entraînement… Ah ! je ne serai qu’au comte ou au cloître ! (Elle descend.)

Don Luis. Cela empêchera-t-il le comte de mourir ?

Angela, le regardant avec défiance. Mais… depuis le jour où je vous ai rencontré, vous êtes devenu le commensal, le familier de mon oncle. Êtes-vous bien sincèrement resté l’ami du comte ?

Don Luis, lui prenant les mains. Moi ! oui… oh ! oui !

Angela. On dirait que vous êtes ému !

Don Luis. Je pense au funeste dénoûment que peut avoir cet amour !… Vous aimez, dites-vous ? (Avec élan.) Ah ! si j’étais femme, moi, et si j’aimais, et si mon amour devait coûter un cheveu à la tête adorée, je renfermerais cet amour dans mon âme, et je lui dirais, à cet homme : Sois grand, sois libre, suis tes rêves, sans que ton regard dévie, sans que ta pensée s’arrête aux mesquines passions de la terre ! Mon amour, je le ferai grand comme toi !