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Scène II

Les Mêmes, ALDEGONDE et SANDOVAL.

Aldegonde, présentant Sandoval à de Sauves. Mon cher de Sauves, je vous présente une ancienne connaissance, M. Sandoval, qui était à Paris, il y a deux ans, et avec lequel j’ai soupé… quelquefois.

Arthur. Hein ? encore un Mexicain ! Oh ! Dieu ! les aime-t-elle les Mexicains !

Sandoval, à part. Où est l’écrin ? là, entre les mains du domestique, c’est bien ! Le rival est un peu lancé, provoquons une querelle, ce ne sera pas difficile. (À Aldegonde.) Ma charmante, à l’un de nos derniers soupers, nous eûmes, si je ne me trompe, un commencement d’entretien, qui m’a laissé de délicieux, souvenirs. Voulez-vous que nous reprenions la conversation où nous l’avons laissée ?

Aldegonde, minaudant. Pardon, mais… où en étions-nous restés, je vous prie ?

Sandoval. À un bracelet d’émeraudes.

Aldegonde. Ah ! c’est vrai : vous aviez beaucoup d’esprit.

Sandoval. Vous pouvez l’inspirer encore si vous vouliez !

Arthur, qui le suit depuis quelques instants et qui a été retenu jusque-là par de Sauves et Tigrero. Pardon, monsieur, aimez-vous les pichenettes ?

Sandoval. Manant !

Arthur. Quoi !

Aldegonde. Arthur !

Arthur. Ah ! vous aimez les Mexicains, vous, moi aussi, et j’en veux manger un peu. (À Sandoval.) Je vous demande si vous aimez les gifles ?

Sandoval. Quand je les donne, oui. (Il lève la main.)

Arthur. Vous n’êtes qu’un drôle ! et je vais vous le prouver !

Sandoval. À moi, messieurs !

Les Mexicains. Aux couteaux ! aux épées ! (Aldegonde se sauve épouvantée.)

De Sauves. Ah ! canailles ! est-ce un guet-apens ! (Tigrero enlève Arthur.)

Arthur. Laissez-moi ! (Une mêlée courte pendant laquelle on a vu Yvon rapidement entouré.)



Scène III

Les Mêmes, GUERRERO.

Guerrero. Messieurs ! cavaliers ! que signifie ?

De Sauves. Mais…

Guerrero. Monsieur de Sauves, recevez mes excuses au nom de ces messieurs !

Tous les Mexicains. Cependant…

Guerrero. Assez ! vous avez tort. Des querelles dans ce palais qui va devenir le palais du comte Horace, du mari de ma nièce, vous n’y pensez pas. — Assez, vous dis-je ! qu’on se taise, et que chacun prenne sa place, les fiancés vont paraître et la cérémonie va commencer.

Sandoval, à Yvon. Pardon, mon ami, dans la bagarre, ceci n’est-il point tombé de votre poche ?

Yvon. Ciel ! sans doute ! (Il prend l’écrin, l’ouvre et s’assure que l’anneau y est encore.) Dieu soit loué, j’aurais pu le retrouver broyé, foulé aux pieds, et c’eût été de bien mauvais augure !

Sandoval, bas à Guerrero qui s’est assis à gauche, entouré de ses officiers. Général, préparez-vous à fuir.




Tableau VII

La fête du Soleil.

À ce moment au fond, escorté de ses officiers, paraît à droite le comte Horace. À gauche, Angela en costume de fiancée, suivie de ses dames d’honneur. Le comte va s’asseoir à droite, Angela à gauche à côté du général Guerrero. Au moment où elle l’aperçoit, elle lui jette un regard d’effroi ; Guerrero se lève et lui cède son fauteuil. Au fond, apparaissent successivement les chefs indiens ayant à leur tête Curumilla qui, lorsqu’il se trouve en face de Guerrero s’avance vers lui.




Scène unique

HORACE, GUERRERO, TIGRERO, CURUMILLA, SANDOVAL, DE SAUVES, ANGELA, Aventuriers, Mexicains, Prêtres et Prêtresses du Soleil.

Curumilla. J’ai promis d’assister au mariage de la fille de don Raphaël… me voici… ! (Derrière les chefs indiens s’avancent les prêtres et les prêtresses du soleil, lorsque le défilé est terminé, une des prêtresses se détache du groupe et dit les vers suivants :)

La prêtresse, s’avançant suivie des prêtres du soleil.

L’immense nuit tombait des hauteurs éternelles,
Et sous le noir manteau de ses deux grandes ailes
Tenait captifs les vents et la terre et les eaux ;
Le parfum, la couleur, le goût, le nom, le nombre,
Rien n’était ! — Tout dormait dans tout, — tout était l’ombre,
Les principes de tout flottaient dans le chaos ;
Quand, semblable à l’enfant dont le pas tremble encore,
Fraîche, comme une vierge à l’heure du réveil,
Apparut la première aurore
Sourire du premier soleil !

(Tous les prêtres et toutes les prêtresses se retournent et s’inclinent devant l’aurore.)

Tout fut. — La fleur s’ouvrit, — l’oiseau chanta, — la femme
Aima. — L’astre fécond à tous prêta sa flamme ;
Il mit dans l’œil de l’aigle un éclair de fierté,
Un rayon de douceur dans l’œil de la gazelle
Et, dans l’homme, alluma la divine étincelle
L’amour, qui contient tout, la force et la bonté.
Et c’est pour que ce feu se rallume sans cesse
Que tes enfants pieux t’invoquent en ce jour,
Soleil, éternelle jeunesse,
Qui verse l’éternel amour !

(Même jeu, devant le soleil qui apparaît au fond brillamment illuminé. S’adressant aux jeunes filles.)

D’un pied léger rasez la terre,
À l’oiseau dérobez son vol,
Dansez mes sœurs, selon l’usage héréditaire !

(Aux jeunes gens.)

D’un pied vaillant frappez le sol
Jeunes gens hardis à la guerre
Et sages au sein du conseil,
Dansez, c’est aujourd’hui la fête du soleil !


BALLET.

Le char du soleil s’est levé au fond du théâtre, commencent les danses, prêtres et prêtresses du temps des Incas. Au milieu du ballet, la BOMBA, dansée par mademoiselle MARIQUITA. Le ballet fini, Tigrero s’avance devant Guerrero.

Tigrero. Nous, représentants du comte Horace d’Armançay, nous venons réclamer de vous, don Antonio Guerrero, doña Angela de Torrès. Consentez-vous à la remettre entre nos mains et à abandonner les droits de tuteur que vous avez sur elle !

Guerrero. Moi, don Antonio Guerrero de Azetecas, j’abandonne tous les droits que je possède sur cette jeune fille, je les transmets au comte Horace d’Armançay… et je lui délègue les pouvoirs que la loi me confère sur doña Angela de Torrès.

Horace. Par le Dieu qui nous entend, je jure amour et fidélité à doña Angela de Torrès.

Guerrero, à la fiancée. Doña Angela, soyez heureuse ! (Il prend la main d’Angela.) Seigneur comte, Angela, échangez vos anneaux.

Curumilla. Doña Angela de Torrès, c’est à vous d’offrir au seigneur comte, en signe de soumission conjugale, le breuvage des fiançailles ! (Deux jeunes filles apportent l’une l’anneau, l’autre la coupe.)

Angela, tenant ouvert au-dessus de la coupe l’anneau conjugal. Doubles anneaux d’or un instant séparés, soyez le talisman qui communique à ce breuvage la flamme de nos cœurs ? (La jeune fille laisse tomber l’anneau dans la coupe, fléchit un genou et le présente à Horace.)

Horace. Pur amour, sainte flamme, pénètre en moi comme une vie nouvelle. (Il boit.)

Guerrero, à part. Enfin !

Sandoval, bas à Guerrero. Fiez-vous à moi et laissez-moi faire.

Horace, offrant la coupe à Angela. Angela ! vous serez désormais mon bonheur, mon courage, mon génie, ma force,… ma… (Arrêtant Angela.) Ne bois pas !…

Angela. Horace, pourquoi pâlissez-vous ?

Horace. En effet, je ne sais… un peu de fatigue sans doute… Angela, reste près de moi… Oh ! mon Dieu, qu’est-ce que j’éprouve ?

Tigrero. Horace, mon frère ! qu’avez-vous donc ?

Angela. Ah ! vite du secours !

Horace. Rassurez-vous, ce n’est rien, je ne souffre pas ! je… Valentin, mes amis… Ah ! de Sauves, tu es médecin, regarde-moi, je suis pâle, n’est-ce pas ; je sens ma vue se troubler, j’ai le feu dans la poitrine… Ah ! ce breuvage ! Ah ! je meurs !

Angela. Horace ! que dit-il ?

Tigrero, montrant Angela et Guerrero. Qu’on s’assure de cette femme et de cet homme !