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LES RODEURS DE FRONTIÈRES

Quoniam sauta dans la barque et prit gaiement les pagaies.

Le pauvre esclave n’avait jamais été si heureux, jamais l’air ne lui avait paru plus pur, la nature plus belle, il lui semblait que tout lui riait et lui faisait fête ; il allait dès ce moment commencer réellement à vivre de la vie des autres hommes, sans arrière-pensée amère ; le passé n’était déjà plus qu’un songe. Il avait trouvé dans son défenseur ce que tant d’hommes cherchent vainement pendant le cours d’une longue existence, un ami, un frère, auquel il pourrait entièrement se fier et pour lequel il n’aurait pas de secrets.

En quelques minutes, ils atteignirent l’endroit qu’à son arrivée, le Canadien avait remarqué ; cet endroit, clairement désigné par les deux chênes-saules tombés en croix l’un sur l’autre, formait une espèce de petit promontoire sablonneux, favorable à l’établissement d’un campement de nuit, car de là on dominait non-seulement le cours de la rivière en haut et en bas à une longue distance, mais encore il était facile de surveiller les deux rives et de déjouer une surprise.

— C’est ici que nous passerons la nuit, dit Tranquille ; transportons auprès de nous la pirogue afin d’abriter notre feu.

Quoniam saisit la légère embarcation, la souleva, et la plaçant sur ses robustes épaules, il la porta à l’endroit que son compagnon lui avait désigné.

Cependant un laps de temps assez considérable s’était écoulé depuis que le Canadien et le nègre s’étaient si miraculeusement rencontrés. Le soleil, déjà assez bas au moment où le chasseur avait doublé la