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LES RODEURS DE FRONTIÈRES

L’attention de Tranquille fut éveillée par les cris de Quoniam ; il releva vivement la tête, et accourut en toute hâte pour délivrer le nègre qui roulait des yeux effarés, sautait de côté et d’autre, et hurlait comme un damné.

— Pourquoi mon frère tourmente-t-il ainsi cet homme ? demanda le Canadien en s’interposant.

— Moi, répondit le chef avec surprise ; je ne le tourmente pas ; son déguisement n’est pas nécessaire, je le lui ôte.

— Comment, mon déguisement ! s’écria Quoniam.

Tranquille lui imposa silence d’un geste.

— Cet homme n’est pas déguisé, continua-t-il.

— À quoi bon se peindre ainsi tout le corps ? reprit opiniâtrement le chef, les guerriers ne se peignent que le visage.

Le chasseur ne put retenir un éclat de rire.

— Mon frère se trompe, dit-il, dès qu’il eut repris son sérieux, cet homme appartient à une race à part ; le Wacondah lui a fait la peau noire, de même qu’il a fait celle de mon frère rouge et la mienne blanche ; tous les frères de cet homme sont de sa couleur, le Grand-Esprit l’a voulu ainsi, afin de ne pas les confondre avec les nations Peaux-Rouges et les Visages-Pâles ; que mon frère regarde sa robe de bison, il verra que pas la moindre parcelle de noir ne s’y est attaché.

— Oeht ! fit l’Indien en baissant la tête comme un homme placé devant un problème insoluble, le Wacondah peut tout !

Et il obéit machinalement au chasseur en jetant un regard distrait sur le pan de sa robe qu’il n’avait pas encore songé à lâcher.