Page:Aimard - Par mer et par terre : le corsaire.djvu/296

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

– Auriez-vous vu un loup, par hasard, mon camarade ? lui dit Ivon en souriant ; je vous trouve l’air tout enchifrené ce matin.

— J’ai vu un tigre ! répondit-il avec un frémissement intérieur qui fit trembler sa voix.

— Oh ! oh ! s’écria Olivier ; il y a du nouveau, à ce qu’il paraît ?

— Je ne sais ce qu’il y a, capitaine ; mais j’ai peur !

— Peur ! vous, Fernan Nuñez ?

— Oui, capitaine, je vous le répète, j’ai peur, parce que j’ai vu un démon.

Il était pâle, il y avait de l’égarement dans son regard ; des gouttelettes de sueur perlaient à ses tempes ; il laissa tomber en soupirant sa tête sur la poitrine.

— Mon pauvre maître ! murmura-t-il avec un sanglot étouffé.

Olivier fit un mouvement ; Ivon l’arrêta :

— Ne le presse pas en ce moment, matelot, lui dit-il, tu n’en retirerais rien qui vaille ; laisse-lui le temps de se remettre et surtout de se calmer.

— Je crois que tu as raison, répondit Olivier d’un air pensif, mieux vaut attendre.

Précisément, en ce moment, Antoine s’approcha ; il étendit une nappe entre les trois personnages, mit le couvert, et servit le déjeuner, avec le même sérieux et le même décorum imperturbables que s’il se fût trouvé à bord du Hasard.

Antoine Lefort était un de ces hommes froids, méthodiques, que rien ne surprend jamais ni ne déconcerte ; rempli d’industrie, sachant admirablement tirer parti de toutes les situations, même les plus mauvaises, et jamais à court d’expédients