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verne, et parmi ces captifs, et le carcan au cou, c’est la vie vraie, et qu’il n’y en a point d’autre. Ou plutôt, c’est cette vie-là qui doit être l’autre vie et la vraie vie. Platon excelle, par la poésie qui lui est propre, à rassembler et disperser les idées et les ombres comme sur une scène éternelle, faisant paraître, à chaque détour de pensée et de passion, un éclair de paradis sur une caravane d’ombres misérables. Et tout cela ensemble a justement la couleur de notre réelle pensée. Car qu’est-ce que vivre, ô crépuscule ? Mais que n’est-ce pas aussi que penser ? Ici peut-être le sens des religions ; et toute la Divine Comédie est en la moindre de nos pensées. Toutefois, puisqu’il faut que le sévère entendement circonscrive cette métaphore, et la sauve elle-même de mourir, c’est pour cela que j’avais écrit un si long préambule ; car il faut savoir qu’il n’y a plus rien de faux dans les ombres, dès qu’on y voit les idées ; et c’est ce monde-ci qui est le plus beau et le plus vrai, et, bien mieux qui est le seul. Le sage est celui qui sauve jusqu’à ses ombres, et sa propre ombre. Mais les hommes