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LE RETOUR DE JACQUES CLOUARD

heure trop tôt, et c’était gênant. À la fin, la belle brune, vêtue en boutiquière aisée, s’impatienta et leur ferma la bouche : « On ne fait pas autrement à la rue Chabanais ! » Et le nom de la rue Feydeau, où sans doute logeaient ces dames, venait aussi fréquemment dans la conversation. Même, les salons de cette maison étaient baptisés d’étranges dénominations que Jacques entendait revenir à chaque instant : « Le Salon-Doré…, le Salon-du-Piano…, l’Aquarium, la Caisse-de-Mort…, le Salon-Moquette. ».

Et, à mesure que le doute n’était plus possible, tout en mordant son pain et en reprenant du fromage, l’âme naïve de Clouard s’emplissait d’indignation. Sacrebleu ! c’était toujours la même chose ! Paris, que, neuf ans auparavant, il avait laissé vicieux et gangrené, était resté le même ; toujours la Babylone monarchique, la grande capitale impure, le mauvais lieu de l’Europe ! Mais qu’avait donc fait la République, puisqu’en neuf ans elle n’était pas même arrivée à balayer le trottoir ? Comment ! pendant que des hommes qui s’étaient battus, après tout, pour une idée et qui seraient morts pour la patrie aussi bien que leurs vainqueurs, avaient longuement langui au bagne et dans l’exil, voilà les jolis messieurs que le gouvernement de la République laissait faire belle jambe au boulevard, au Bois, aux courses. Ils fumaient de gros cigares et por-