Page:Alexis de Tocqueville - L'Ancien Régime et la Révolution, Lévy, 1866.djvu/140

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verser de fond en comble une pareille société en un moment. J’imagine toutes ces petites barrières renversées par ce grand ébranlement lui-même ; j’aperçois aussitôt un corps glacial plus compact et plus homogène qu’aucun de ceux qu’on avait peut-être jamais vus dans le monde.

J’ai dit comment, dans presque tout le royaume, la vie particulière des provinces était depuis longtemps éteinte ; cela avait beaucoup contribué à rendre tous les Français fort semblables entre eux. À travers les diversités qui existent encore, l’unité de la nation est déjà transparente ; l’uniformité de la législation la découvre. À mesure qu’on descend le cours du dix-huitième siècle, on voit s’accroître le nombre des édits, déclarations du roi, arrêts du conseil, qui appliquent les mêmes règles, de la même manière, dans toutes les parties de l’empire. Ce ne sont pas seulement les gouvernants, mais les gouvernés, qui conçoivent l’idée d’une législation si générale et si uniforme, partout la même, la même pour tous ; cette idée se montre dans tous les projets de réforme qui se succèdent pendant trente ans avant que la Révolution n’éclate. Deux siècles auparavant, la matière de pareilles idées, si l’on peut parler ainsi, eût manqué.

Non-seulement les provinces se ressemblent de plus en plus, mais dans chaque province les hommes des différentes classes, du moins tous ceux qui sont placés en dehors du peuple, deviennent de plus en plus semblables, en dépit des particularités de la condition.