Page:Alexis de Tocqueville - L'Ancien Régime et la Révolution, Lévy, 1866.djvu/149

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efficace. L’Angleterre était le seul pays où l’on eût, non pas altéré, mais effectivement détruit le système de la caste. Les nobles et les roturiers y suivaient ensemble les mêmes affaires, y embrassaient les mêmes professions, et, ce qui est bien plus significatif, s’y mariaient entre eux. La fille du plus grand seigneur y pouvait déjà épouser sans honte un homme nouveau.

Voulez-vous savoir si la caste, les idées, les habitudes, les barrières qu’elle avait créées chez un peuple y sont définitivement anéanties : considérez-y les mariages. Là seulement, vous trouverez le trait décisif qui vous manque. Même de nos jours, en France, après soixante ans de démocratie, vous l’y chercheriez souvent en vain. Les familles anciennes et les nouvelles, qui semblent confondues en toutes choses, y évitent encore le plus qu’elles le peuvent de se mêler par le mariage.

On a souvent remarqué que la noblesse anglaise avait été plus prudente, plus habile, plus ouverte que nulle autre. Ce qu’il fallait dire, c’est que depuis longtemps il n’existe plus en Angleterre, à proprement parler, de noblesse, si on prend le mot dans le sens ancien et circonscrit qu’il avait conservé partout ailleurs.

Cette révolution se perd dans la nuit des temps, mais il en reste encore un témoin vivant : c’est l’idiome. Depuis plusieurs siècles, le mot de gentilhomme a entièrement changé de sens en Angleterre, et le mot de roturier n’existe plus. Il eût déjà été impos-