Page:Alexis de Tocqueville - L'Ancien Régime et la Révolution, Lévy, 1866.djvu/214

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les nobles et leurs vassaux du service militaire  ; mais, au dix-septième siècle, l’obligation du service militaire fut de nouveau imposée, comme nous l’avons vu, sous le nom de milice, et, cette fois, elle ne pesa plus que sur le peuple seul, et presque uniquement sur le paysan.

Il suffit de considérer la multitude des procès-verbaux de maréchaussée qui remplissent les cartons d’une intendance, et qui tous se rapportent à la poursuite de miliciens réfractaires ou déserteurs, pour juger que la milice ne se levait pas sans obstacle. Il ne parait pas, en effet, qu’il y eut de charge publique qui fût plus insupportable aux paysans que celle-là ; pour s’y soustraire, ils se sauvaient souvent dans les bois, où il fallait les poursuivre à main armée. Cela étonne, quand on songe à la facilité avec laquelle le recrutement forcé s’opère aujourd’hui.

Il faut attribuer cette extrême répugnance des paysans de l’ancien régime pour la milice moins au principe même de la loi qu’à la manière dont elle était exécutée ; on doit s’en prendre surtout à la longue incertitude où elle tenait ceux qu’elle menaçait (on pouvait être appelé jusqu’à quarante ans, à moins qu’on ne se mariât) ; à l’arbitraire de la révision, qui rendait presque inutile l’avantage d’un bon numéro ; à la défense de se faire remplacer ; au dégoût d’un métier dur et périlleux, où toute espérance d’avancement était interdite ; mais surtout au sentiment qu’un si grand poids ne pesait que sur eux seuls, et sur les plus misérables d’entre eux,